T 32
« La Terre qui reçoit la graine est triste. La graine qui va tant risquer est heureuse. »
René Char, La bibliothèque est en feu.
Mais pourquoi la Terre devrait être triste alors qu’elle va recevoir la graine. Qui pourrait m’éclairer sur cette tristesse. Que veut donc dire René Char ? Comment expliquer que recevoir ou recueillir provoquerait un tel désarroi? L’idée qu’une graine semée, dans l’attente de lever me rend joyeux.
Les deux phrases courtes disposent dos à dos la tristesse de la terre et le bonheur de la graine. La graine dans l’attente amorce un développement que le poète identifie à une prise de risque. La graine comprend qu’elle va devoir jouer le tout pour le tout pour arriver à ses fins. Le combat à venir la rend heureuse car le défi à relever est considérable. Il est si facile pour une graine de mourir alors que l’espoir de sortir du sol est un rêve fou. Sans doute la Terre est triste à l’idée de ce que devra affronter la graine pour dépasser son stade de graine. C’est un pressentiment qu’il nous arrive de ressentir devant un enfant alors que nous imaginons les épreuves qu’il devra traverser. Nous sommes tristes et inquiets en considérant les menaces qu’il ne manquera pas de rencontrer pendant son parcours au risque de l’interrompre. Voilà une impression pourtant rapidement effacée, la jeunesse qu’il affiche bien que parfois arrogante, est de même nature que le bonheur de la graine confrontée à l’obligation de se lancer dans une grande aventure.
Rien n’autorise la Terre à être triste. Qu’importe son expérience, ses souvenirs, son histoire et sa solitude endémique. Ce qui compte est sa capacité à recevoir la graine mais pas n’importe comment. Non seulement elle doit la recevoir mais aussi l’accompagner, lui donner confiance, l’aider à franchir la croûte terrestre pour s’épanouir au grand jour. Plus tard, la graine transformée deviendra racine. Blé, fleur, arbre grandiront pour disséminer sur la Terre des milliers de graines. Le cycle s’achèvera pour les plantes vieillies devenues stériles. Elles s’abimeront dans le sous-sol en apportant le peu de richesse qu’elles ont retenue après leur croissance.
La Terre est peut-être triste de tous ces morts qui enrichissent son humus, triste de les avoir accompagnés pour une fin tragique. Mais c’est trop vite oublier la vie perpétuée par les graines. De les savoir heureuses, la Terre devrait s’en réjouir.
(À suivre T 33)
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