6 novembre.
« Saijiki », grammaire japonaise qui range les mots selon la saison dans laquelle puise le poète pour écrire des haïkus en rapport avec l’instant. Ils sont rassemblés en liste de kigo (termes saisonniers).
Chaque section saisonnière est divisée en un ensemble de catégories.
Je renvoie à l’excellente revue JARDINS, édition Les pommes sauvages – www.lespommessauvages.fr, le numéro 8 qui a pour titre : La lisière, ainsi que Wikipédia, note rapide sur le Saijiki.
Je suis fasciné par le classement des mots. J’imagine des boites en fer, hermétiques, à l’intérieur desquelles seraient rassemblés en vrac les mots de l’hiver, du printemps, de l’été et de l’automne, quatre grosses boites décorées d’une illustration d’inspiration japonaise illustrant les quatre saisons.
J’imagine aussi le poète tirant au hasard un nombre de mots quand arrive la nouvelle saison. Considérons qu’il peut tirer autant de mots qu’il le souhaite et qu’il les dispose sur sa table d’écriture comme nous pratiquons le jeu de dominos ou le scrabble. Son travail de poète sera de les relier, de créer un sens en les faisant se côtoyer les uns à la suite des autres pour écrire un ou plusieurs haïkus.
Mais comment sont classés les mots en fonction des saisons ? Le mot soleil par exemple ne se trouve-t-il pas dans chacune des boites, et le mot amour et le mot prière… . Ils sont nombreux les mots présents en toutes saisons. Le poète sera les reconnaitre et les utilisera comme un maitre cuisinier en utilisant des recettes particulières habitées d’émotion et parées d’élégance.
Et puis, il y a les mots oubliés comme des tombes abandonnées. Les mots de grande solitude et d’inévitable perdition, les mots qui ne se prononcent pas, s’écrivent encore moins, tous ces mots que le poète ne saisit pas et qui le met en situation d’échec. Combien de fois ne me suis-je pas heurté à ce vocabulaire étrange, incapable de l’extraire de sa gangue comme le peintre égaré dans sa toile.
Fort de cette réflexion, je me suis demandé s’il ne faudrait pas aussi classé les lettres de l’alphabet en fonction des saisons. Rimbaud n’est pas loin avec son poème Voyelles :
« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, »
Il serait trop simple de n’utiliser que deux boites, l’une pour les voyelles, l’autre pour les consonnes. Ne pourrions-nous pas décider que certaines consonnes sont plus hivernales que d’autres, qu’un nombre important de voyelles sonnent mieux au printemps et en été ?
A, f, u, v, e pour l’automne : fauve.
J, z, a, z, y pour l’hiver : jazzy.
B, r, g, e, n, o, u, o pour le printemps : bourgeon.
P, x, n, i, h, e pour l’été : phénix.
Certaines voyelles et consonnes, comme les mots cités plus haut, seront introduites dans les quatre boites mais ne pourront être utilisées deux fois pour la même saison.
Les lettres c, l, m, s, t seront faciles à utiliser en toutes saison, alors que k, q et w attendront leurs tours. Je suis confiant qu’un auteur oulipien utilisera avec maestria ces consonnes rarement employées.
7 novembre.
Ouverture du grenier, des caisses puis des boites, comme une poupée russe, je n’en finis pas d’aller du plus grand au plus petit sans atteindre une frontière indélébile qui me signifierait que c’est là que tout s’arrête, qu’au-delà il n’y a plus rien à ouvrir, que la vie n’existerait pas encore moins les souvenirs.
Les albums de photos classés par mon père avec application et persévérance, en respectant les périodes de la vie, tout commence en noir et blanc, des petites vignettes dentelées, des visages jaunis et inconnus, visages d’adultes, de bébés, d’enfants, de personnes âgées puis des lieux, des lieux d’autrefois qui respirent encore la pierre et la mousse, les marronniers en automne et les tilleuls habités d’oiseaux baratineurs. Il a écrit avec application des légendes avec son écriture illisible, il me faudrait une loupe pour reconnaitre les boucles et les déliés, l’appui tremblotant de la jambe de la lettre P ou les deux fenêtres jamais fermées de la lettre E. Je me refuse à passer des heures à déchiffrer, je suis là pour faire de la place : jeter, ranger, rassembler sans émotion particulière.
Quand l’époque devient contemporaine, je m’attarde davantage en pays de connaissance, je reconnais les visages, les époques de la vie, les tumeurs invisibles dissimulées derrière la couleur des yeux, la grâce apparente d’un sourire. Et puis les voix. L’éternel mouvement marin qui porte la voix disparue, que je ne peux oublier.
Vient mon tour, mes albums, seulement trois ou quatre, sans légende, sans ordre car tout est « live » dans ma mémoire.
Trois caisses pour les albums de mon père, une caisse pour les miens… . mais qui se souviendra vraiment alors que nous savons à peine faire le lien d’une génération à l’autre. Est-ce bien nécessaire ?
Je ferme la porte du grenier. Je reviendrai demain.
8 novembre.
Quel rapport entre la collection Morozov exposée à la fondation Louis Vuitton et le couple de pandas prêté par la Chine au zoo de Beauval ?
Le prêt évidemment mais aussi le coup médiatique. La publicité faite autour de ces deux évènements qui ne se sont pas déroulés au même moment, a permis d’attirer des centaines de visiteurs avec en plus, et ce n’est pas rien, l’espoir savamment enregistré et communiqué dans tous les réseaux sociaux de la naissance d’un bébé panda.
Voici donc des évènements qui ne manquent pas d’intérêt et nous ne pouvons que nous réjouir de l’affairisme de la fondation et du zoo.
Les visiteurs se bousculaient à l’exposition. L’organisation des files d’attente, le nombre de personnes dans les salles quand bien même à la limite du supportable, tout cela n’était pas si mal organisé. Bien sûr il était impossible de rester plusieurs minutes devant un tableau, l’observation appliquée n’était pas de mise, bousculé parfois par des selfis intempestifs de visiteurs positionnés bien en face du tableau , appliqués à cadrer l’image comme un plat de nouilles dans un restaurant asiatique.
Cela étant dit je n’ai pas boudé mon plaisir en me disant qu’une visite virtuelle comblerait mes frustrations passagères.
Quant aux pandas, je ne me suis pas déplacé au zoo de Beauval mais l’actualisation de leurs ébats et de la naissance du petit Mini Wouanzi (pas certain de l’orthographe) sur les réseaux sociaux, ont comblé mon admiration.
9 novembre.
Course dans la forêt, l’impression de se déplacer dans un tableau de couleur fauve peint par Cézanne. La lumière intense sculpte les feuilles dans l’air transparent. Les oranges, les rouges, les jaunes portés par les branches qui commencent à perdre leurs tenues de l’automne bientôt achevé, flottent dans le vide comme autant de pastilles qui renvoient la lumière. Les troncs des bouleaux sont frappés des rayons lumineux d’un soleil puissant et généreux, ils sont comme les grands cierges des cathédrales, cathédrales ouvertes sur le ciel, avec des branches pour arcs boutants et des chapiteaux sculptés de fibres ligneuses et végétales. Je cours dans un univers sans porte ni fenêtre, seulement le sol, terre bourbeuse et humide où il faut éviter de glisser dans les ornières creusées par un véhicule forestier ou le passage d’un groupe en VTT.
Je cours encore et peut-être encore demain en remerciant mon corps qui me porte.
10 novembre.
La difficulté de tenir un Journal qu’on voudrait être à soi ne réside pas seulement à l’écrire longtemps et avec régularité.
Ne pas toujours commenter les actualités à moins de posséder une opinion personnelle et originale au risque de transformer le Journal en tribune politique.
Ne pas verser immodérément dans le récit de soi au risque d’écrire son autobiographie qui s’avèrera vite ennuyeuse pour le lecteur, à moins de considérer sa vie comme exceptionnelle. Mais si elle l’est vraiment, un biographe fera un meilleur travail que vous, sans doute plus objectif et sans passion.
Ce sont, il me semble, les deux principaux écueils.
Le diariste est un buvard collé sur le temps qui passe. Il épouse jour après jour les contradictions de son époque, de son caractère, il se doit de rester attentif à la lumière, aux chants, aux grands arbres et à l’infini. D’un seul regard, animé d’une plume unique, il tente de décrire ses sensations heureuses ou malheureuses, ses découvertes car il se doit de rester étonné et rarement las.
L’écriture du Journal tintinnabulera d’un verbe à l’autre, d’une ponctuation hasardeuse à un éclat définitif, combinant les genres et les styles, une écriture sans porte ni fenêtre, enchâssée dans l’ordre du temps et l’unité de lieu que sont le jour et le territoire.
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