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« Et de ces mots la poésie est le plus haut trait d’union, celui qui entend leur faire dire ce qu’ils ne semblent pouvoir dire. »
Zeno Bianu et André Velter, Prendre feu.
Quelle importance donner à la poésie. De nos jours si peu lue bien que foisonnante, la poésie occupe beaucoup plus d’espaces qu’on l’imagine. Elle se tient à nos côtés mais nous ne savons pas la reconnaitre. Comme ces millions d’insectes qui se déplacent dans la forêt, elle est portée par les lettres et ne se soucie pas des frontières qu’elle franchit sans papier.
Je possède une bibliothèque où sont alignés les ouvrages de poésie. Quand je m’en approche, j’entends une sorte de cacophonie. Les poètes récitent leurs poèmes, tous en même temps. Chacun s’efforce de couvrir la voix de l’autre :Aragon, Char, Hölderlin, Ronsard, Sacré, Musset, Venaille et les autres. Ils jouent du coude avec leurs voisins de rayon, ne savent plus quoi inventer pour retenir mon attention. Je saisis un livre au hasard pour ne vexer personne. Le chœur s’interrompt immédiatement pour ne laisser la voix qu’à un seul auteur :
« Je n’écrirai de toi que de ma propre hauteur.
Ou bien je m’allonge et fais ombre.»
Ouvrir un livre, c’est pousser une porte et pénétrer dans une pièce. Celle-ci est habitée par Jacques Roubaud. D’autres portes closes dissimulent une multitude de pièces et de chambres. Chacune est occupée par un poète seul devant son ouvrage à tisser.
« Nous sommes tissés, entretissés de mots… . »
Ils travaillent à l’intérieur de nos nuits en apportant un peu de lumière, nous étonnent de les trouver encore là à la levée du jour. Ils ne s’arrêtent jamais, tissent leurs toiles avec des lettres qui ricochent dans l’air comme des cailloux plats lancés à la surface de l’eau.
Pourquoi se fatiguer à tramer les mots ?
« Et de ces mots la poésie est le plus haut trait d’union, celui qui entend leur faire dire ce qu’ils ne semblent pouvoir dire. »
La poésie enchante nos silences.
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