T 53
« Si je dis que tu ne seras pas rassasié, cela veut dire que tu auras faim ; si je dis que tu seras rassasié, je crains ta répugnance. ».
Saint-Augustin, Confessions.
Il me faut avouer mon impuissance à trouver les mots, confronté à ce fragment des Confessions de Saint-Augustin.
Le sens est clair qui nous parle de la foi en quantité suffisante ou pas. Elle se trouve en quantité satisfaisante pour nourrir celui qui a faim au risque de ne plus avoir jamais faim et de provoquer ce que Saint-Augustin qualifie sa répugnance. Elle n’est jamais suffisante et la faim n’est pas assouvie.
Je comprends aussi que progresser dans la vie spirituelle, c’est ne pas être rassasié. La faim dont il est question ici, est une nécessité. L’homme tente de l’assouvir par des prières mais elle reste entière car elle est l’unique raison d’en appeler à un Dieu universel. Une telle nécessité que tous les individus ne ressentent pas, certains allant même jusqu’à la fuir ou la combattre, est considérée par ces derniers comme étant plutôt un leurre qu’une nécessité.
Si les mots me sont difficiles à trouver c’est que la nature du texte me met dans la situation de croire ou ne pas croire, de croire en suffisance ou de ne jamais trouver la suffisance de croire. L’utilisation du « je » dans la citation provoque mon étonnement et mon interrogation. Qui est donc ce « je » ? Saint-Augustin qui parlerait en son nom ou Saint-Augustin qui prêterait à Dieu cette réflexion. Serait-ce le « je » du philosophe ? Le chemin est court qui mène de la philosophie à la spiritualité. L’auteur des Confessions mélange les genres avec fougue et virtuosité. Car ce qui peut arriver à manquer pour nous rassasier n’est pas uniquement de nature spirituelle, c’est aussi le propos de l’humaniste qui ne se contente pas des réponses trop rapidement données. Il est dans la nature de l’homme de ne pas habiter qu’un seul territoire mais de s’aventurer.
Certains d’entre nous se contenteront d’être rassasiés sans ressentir aucune répugnance. Le philosophe ou le religieux ne devrait avoir aucune crainte, l’autosuffisance spirituelle ne se partage pas mais suffit à enraciner un homme dans sa vanité.
Je me souviens avoir retenu en traversant le territoire 34 une citation d’Epictète qui pourrait s’inscrire en corollaire de la proposition de Saint-Augustin : « Rien n’est suffisant pour qui pense que le suffisant est peu. »
J’appartiens à celles et ceux qui préfèrent rester sur sa faim. Je n’entrevois aucun avenir pour l’homme s’il devait cesser de la ressentir. Il me faudrait alors habiter un seul et unique territoire, ne jamais franchir ses limites par crainte de me perdre. Eloigné de toute forme d’errance, l’homme ne serait qu’un pieu planté jusqu’à disparaitre attaqué par le pourrissement.
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