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« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. »
René Char, Les Matinaux.

Je n’avais pas noté l’année. Cela m’étonne de moi qui possède un goût certain pour la classification. Tenter de faire des recoupements en m’efforçant de me rappeler à quel moment j’avais lu le livre à l’origine de mon carnet, impossible. Après tout quelle importance, le carnet est ouvert. Le corps penché, je tourne avec la main droite une page après l’autre. Je le parcours en m’arrêtant sur une citation puis sur une autre. Soudain me reviennent en mémoire, la couverture et l’épaisseur du livre, l’évocation lointaine d’une aventure, l’ambiance estivale qui environnait ma lecture. Je me souviens de la maison familiale en Bourbonnais, des sentiers ensevelis sous les brouillards alpins, de la terrasse au-dessus de la mer face au Vésuve.
Plus de quarante années de lecture s’échappent du petit carnet, quarante années au cours desquels des dizaines d’auteurs ont été mes compagnons de route. Certains m’ont serré de plus près que d’autres, ils m’ont bousculé quelque fois, renversé souvent mais tous m’ont aidé à tenir debout. J’avais écrit sur l’étiquette collée sur la couverture, à cette époque lointaine et mystérieuse, un titre comme si ce devait être celui d’un essai qui ne finirait jamais : « Carnet d’émerveillements ».
Voici donc rassemblées les traces manuscrites de mes heures de lecture. Je les découvre, je les rejoue comme un soliste de jazz improviserait « So what » de Miles Davis.

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