Voiture 12
En l’accompagnant à la gare, il lui fait remarquer que sa valise est mal fermée. Ce serait dommage qu’elle s’ouvre brutalement sur le trottoir sous le regard amusé des passants. Il lui indique un banc, se sera plus facile de la poser, l’ouvrir et remettre de l’ordre à l’intérieur.
La valise est trop petite pour contenir la dizaine de livres qui se trouvent dedans. Il est surpris de constater qu’à l’exception d’une brosse à dents, d’un tube dentifrice et les livres, il n’y a rien d’autre. C’est vrai que son frère n’a passé que deux nuits chez lui. « Pourquoi porter tous ces livres. Ils pèsent lourd et tu ne t’es pas absenté si longtemps pour lire tout ça. ». Il explique qu’il lit deux ou trois livres en même temps et qu’il se sentait inquiet à l’idée de ne pas avoir pris celui qu’il aurait souhaité lire. Il reconnait ses difficultés à choisir. « C’est comme au restaurant. », il ajoute avec un peu de dérision.
Les livres sont de formats différents, il faut donc les ranger en réfléchissant quitte à faire plusieurs essais pour que la valise ferme. Elle est assez grande la valise pour porter ce poids d’indécision. Il appui sur la partie supérieure quand son frère tire doucement sur la fermeture éclair. Ils reprennent le chemin de la gare, lui regarde sa montre à plusieurs reprises et accélère le pas. Il lui dit de ne pas s’inquiéter, qu’ils ont bien assez de temps. A nouveau il constate que son frère ne prend jamais le temps. Il sait très bien qu’il ne sera pas en retard, cette rue ce n’est pas la première fois qu’il la remonte. Mais il ne peut s’empêcher d’être préoccupé. Un train ça peut se rater comme beaucoup d’autres choses.
Arrivé au pied de l’escalier mécanique, son frère l’invite à ne pas le suivre, sans doute il doit avoir autre chose à faire. « Puis ce n’est pas la première fois qu’on se quitte. ». Il refuse de ne pas l’accompagner jusque sur le quai et souhaite attendre avec lui le départ du train. Il a tout son temps.
La voiture 12, compartiment deuxième classe, s’arrête à leur niveau. Il l’aide à porter la valise pleine de livres qu’il n’a pas eu le temps de lire. « C’est rassurant » dit-il « d’avoir ses livres avec soi. » comme pour s’excuser. Il pose ses lèvres sur sa barbe blonde en guise d’adieu. Ils ont conscience qu’ils sont devenus vieux mais ne se le disent pas.
Ils se sont souvent perdus de vue jusqu’à se retrouver ensemble devant la voiture 12. Ils se parlent peut-être mais le vacarme de la gare, les haut-parleurs, les ferrailles qui se heurtent, la course des voyageurs en retard font qu’ils ne peuvent s’entendre.
Son frère ainé monte dans la voiture enveloppé dans son gros manteau gris. Il le voit derrière les vitres regarder à plusieurs reprises son ticket pour être certain de ne pas oublier les deux chiffres et ne pas risquer de manquer sa place numérotée.
Au moment où le train s’éloigne du quai, il se surprend à imaginer qu’il éteint la lumière dans une chambre et qu’il ferme la porte derrière lui.
Et que vraiment tout s’éteint, le jour et la nuit.
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