2 avril, Saint-Nom la Bretèche.

Il me revient en mémoire cette imploration souvent entendue pendant mon enfance, au moins une fois par semaine quand nous assistions aux offices religieux dans les églises de Chamalières et de Saulcet : « Dites seulement une parole et je serai guéri.».

Aujourd’hui le vouvoiement a été remplacé par le tutoiement : « Dis seulement une parole… » comme si l’utilisation « tu » nous rapprocherait davantage de Dieu, du Tout-Puissant à qui nous nous adressons. Je connais des « vous » autrement plus chaleureux et fraternels que des « tu ». Mais peu importe, ma mémoire aujourd’hui me délivre un tout autre message.

D’abord le souvenir de l’enfant que j’étais, confronté à cette prière que je ne comprenais pas. Il m’était difficile d’accepter qu’une simple parole pourrait apporter la guérison. Encore eut-il fallu savoir de quelle maladie il était question. Au cours de l’office je me retournais vers mes parents, je dévisageais individuellement celles et ceux qui se trouvaient à proximité pour tenter d’identifier la nature de la maladie, lui trouver un nom et si celle-ci était la même pour tout le monde.

Lorsqu’on attribue un nom à quelque chose d’incompréhensible et d’extraordinaire, il est plus facile de l’accepter sans forcément la comprendre. L’assemblée tournée vers l’autel prononçait en chœur la prière que je répétais ni trop fort pour ne pas me faire remarquer ni trop bas pour qu’on puisse féliciter ma participation. Mais ces mots n’avaient pas de sens jusqu’à ce que des années plus tard je me trouve confronté au besoin d’écouter une parole qui m’aiderait à guérir d’une maladie que je suis toujours incapable de nommer.

Il faut reconnaitre que j’ai entendu de nombreuses paroles sans prendre le temps de les écouter, j’étais un voyageur pressé, loin de penser que je pouvais souffrir d’une quelconque maladie. Longtemps je n’ai cherché aucune guérison, il n’y avait pas lieu. C’est pourquoi, je ne sais pas prier car il m’est difficile de demander.

A trop parler de moi, je ne prendrai pas la distance suffisante pour prononcer à nouveau : « Dites seulement une parole et je serai guéri… ». La prière trouve sa source dans une région que nous possédons sans l’avoir identifiée. Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour implorer ainsi. Cette prière n’est pas que religieuse, elle caractérise notre incompréhension et notre isolement dans le monde qui nous entoure. L’essence même de notre présence sur terre est de ne pas savoir pourquoi nous sommes là plutôt qu’ailleurs, pour finalement se demander la raison de notre existence, de toute sorte d’existence. Répondre à une de ces questions, serait le début de notre guérison.

Ne sommes-nous pas le fruit du hasard et de toute façon ne sommes-nous pas que passagers. Le billet, ce n’est pas nous qui l’avons acheté. Le mode de transport, nous ne l’avons pas choisi. La destination, nous ne la connaissons pas. Certitude, nous possédons un aller simple et au-delà d’une certaine limite, le billet n’est plus valable.

Voilà à peu près tout ce que je crois savoir de la vie jusqu’au jour où j’entendrai une parole qui ne suffira pas à me guérir mais y participera avantageusement. Mon espoir est serein, balancé par l’éventualité que je ne l’entendrai jamais et que mon billet bientôt ne sera plus valide.

6 avril.

En ces périodes de confinement je retiens dans Poésie verticale de Roberto Juarroz, édition Fayard, le poème numéro 210 qui se termine par :

« Amputer un morceau d’une vie

C’est le faire croître autre part. » (VI,90)

Je me dis souvent que rien ne se perd vraiment et qu’au contraire quelque chose se reforme ailleurs. J’ai toujours cru qu’un échec n’est pas sans conséquence positive, qu’au-delà du revers qui s’impose, la volonté de contournement permet de rebondir. Ainsi commence une nouvelle croissance.

En nous privant de liberté, en nous rendant difficile de faire des projets, il n’est qu’une façon de vivre, ne pas se résoudre et imaginer, inventer, produire. Certes si je ne cache pas mon agacement, je trouve un intérêt certain à donner à ma vie une direction qu’elle n’aurait pas prise sans la crise sanitaire.

Ce recueil de poésies est un ouvrage hypnotique.

Il appartient à ces œuvres qui séduisent immédiatement. Dès les premiers vers on se sent envahi par la vivacité lumineuse de l’écriture, elle heurte sans agresser. L’impression qui se dégage des premières pages possèderait le goût d’un fruit nouveau. Il donnerait du plaisir non seulement à le mâcher mais la saveur ne s’arrêtant pas immédiatement, elle progresserait dans la lecture, se renouvèlerait pour ne cesser que plus tard après avoir fermé le livre.

Pourtant ce n’est pas exactement ce qui se passe.

La séduction tout comme les premiers carrés de chocolat n’entraine pas obligatoirement un plaisir qui dure. C’est pourquoi l’ouvrage est hypnotique au point qu’il est difficile de reconnaitre un poème plus qu’un autre. Je me suis quelquefois perdu dans les éclats lumineux réitérés page après page comme une prière psalmodiée. J’ai souhaité que la lumière s’éteigne, que le chant devienne silencieux, que la voix de l’auteur brise la mélodie, bouscule l’harmonie, bref me surprenne.

C’est assurément une belle œuvre un peu lisse à mon goût.

Si j’apprécie « la prière » en littérature lorsque le verbe obéit à un rythme et que la musique imposée par l’auteur est perçue par le lecteur comme une marée qui monte et descend, il me tarde aussi de me confronter à des accélérations et des ruptures.

58

Soudain,

Un de ces mots reste comme suspendu dans l’air.

Alors, je lui donne ma chute.

70

Ce n’est pas l’effondrement d’une hauteur qui importe,

Mais celui d’un fond.

Une hauteur, ou son reste,

Peut émigrer et se replanter n’importe où,

Mais où ira le fond

Et la traine noire de son aile ?

189

Nombreuses sont les présences

Qui doivent se dissoudre

Pour faire une absence

Qui tienne entre les mains.

7 avril.

La vie professionnelle est un confinement dans le confinement de la vie. C’est juste un jeu de rôles. Certains sont de bons acteurs, d’autres non. Certains y mettent l’empathie nécessaire, d’autres calculent au plus juste leur générosité.

Mais la vie ?

9 avril.

Je suis conscient que le temps passe. Plus je tire derrière moi un monde ancien, moins je suis capable d’absorber comme un buvard l’humidité du monde d’aujourd’hui. Parce que la peau n’est plus aussi souple, moins sujette au printemps de la vie. Pourtant ce qui pourrait ressembler à un rétrécissement ne l’est qu’en apparence. En fait un monde intérieur se développe, à la fois inattendu et résultat d’une longue préparation. Il me semble que depuis mes premiers jours, je n’ai jamais cessé de me préparer à vivre. Je ne fais que des brouillons me disant que viendra bien le temps de tout recopier « au propre ». Imperturbablement, sans me soucier du temps qui passe, je brouillonne. Je ne ferais jamais rien d’autre que de me trouver en préparation. Vivre sans aboutissement, c’est un peu se tenir sur une crête sans risquer le désenchantement.

10 avril.

Cauchemar : Il voulait m’embrasser animé par une seule volonté, me transmettre le Covid. Tentative d’assassinat par virus interposé !

11 avril.

Face à l’école maternelle de Crespières, séparée par une petite route, se trouve un grand terrain herbeux. Au fond de ce terrain une immense bâtisse, probablement du XIXème siècle, délabrée, le toit effondré, des volets de guingois.

L’école, de construction moderne possède une longue baie vitrée derrière laquelle il est possible de vois les classes et les élèves.

La décrépitude du bâtiment et la jeunesse française se font face. Avons-nous bien réfléchi aux conséquences que peut avoir une telle confrontation. Toute la journée avoir pour seule ligne d’horizon cet ensemble architectural dévasté qui devait ressembler à une demeure bourgeoise flanquée de deux tours prétentieuses de chaque côté, pourrait entrainer l’enfant à ressentir des pensées tristes ou avoir des cauchemars.

Pour ne prendre aucun risque, je ne vois guère d’autre solution que de faire l’école buissonnière.

12 avril.

Quand nous serons libérés, nous trouverons nos chimères réalisables ou la réalité chimérique.

13 avril.

La maison à proximité de la nôtre est vendue. Son terrain est assez grand pour construire un autre pavillon mais il faut abattre deux grands arbres, un conifère et un hêtre.

Les acquéreurs du terrain vont faire construire. Ils habitent Paris et veulent « se mettre au vert ».

Ils commenceront par se débarrasser des arbres et tirer une allée goudronnée.

Curieuse façon de « se mettre au vert ».

14 avril.

Encore une jolie photo qui nous montre le père et son fils, dos à dos, chacun à son bureau. Ils sont horlogers, de père en fils. Les bureaux sont encombrés d’instruments de précision, ils travaillent à imaginer et à perfectionner des mouvements. Ces mouvements martèlent le temps qui passe comme ces longues allées pavées qui traversent les jardins et les vieilles cités.

Créer un mouvement pour calculer le temps, ne serait-ce pas le temps qui impose son mouvement ?

Ce qu’on produit et ce qu’on est, obéissent à des rythmes rapides et lents, feutrés et heurtés qui nous conduisent jusqu’au bout de l’allée et nous précipitent dans le puits sombre de l’inévitable.

Le fils sans le savoir participe au calcul du temps qui s’achèvera avec la disparition de son père alors que le père, en lui tournant le dos, prend le temps de s’émerveiller devant le temps qui passe en l’inscrivant dans un mouvement. L’un et l’autre possèdent leur propre mouvement, l’un et l’autre sont deux aiguilles sur le cadran, elles se déplacent dans le même sens mais elles emprunteront toujours ce mouvement circulaire quand bien même le temps de l’un et de l’autre sera achevé.

15 avril.

A propos du temps, je lis que dans un milliard d’années, le soleil vieillissant, il n’y aura plus d’êtres vivants sur terre. Cela nous laisse du temps pour inventer le temps, calculer celui qui passe, se retourner vers le temps passé, créer toutes sortes de mouvements et du temps encore pour habiter l’ailleurs lointain.

Mais pourquoi devons-nous attendre si longtemps avant de nous retrouver effacer par un soleil moribond. Pourquoi pas maintenant ?

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