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« Manquer d’infini resserre et borne désespérément. »
Soeren Kierkegaard, Traité du désespoir.
« On marche enfant tête perdue dans la cage aux fraicheurs. ».
Ludovic Janvier, La mer à boire.
J’aime particulièrement cette « cage aux fraicheurs.». j’aime aussi me perdre dans cette cage car elle est si vaste pour un enfant, qu’elle ressemble à l’infini.
Car pour un enfant la dimension de l’infini ne se pose pas. Le mot même n’existe pas, il arrive dans un monde tellement grand où tout est objet de découverte, la plus petite herbe provoque l’étonnement, la direction que prend l’eau de la rivière est une course de vitesse vers l’inconnu. Et le vent pour l’enfant, une caresse ou une gifle, c’est un courant d’air qui vient de loin, des bords extrêmes de la cage vers lesquels l’enfant devenant progressivement adulte, s’aventurera pour passer au travers des barreaux. Sans penser un instant qu’en franchissant cette frontière, il laisse derrière lui l’infini.
L’infini est à hauteur de l’enfance, naturellement.
L’infini à hauteur d’homme est une construction.
Chacun possède l’architecture de son infini mais nous ne sommes pas tous capables d’équilibrer les forces, de tirer les plans qui feraient en sorte que l’infini devienne un palais ouvert sur l’extérieur entrainant la rupture des bornes.
Certains tissus rétrécissent à force d’être lavés, en prenant de l’âge nous faisons la même chose. Au lieu de nous augmenter, nous nous resserrons sur nous-mêmes pour nous consoler dans des idées courtes. La politique des extrêmes, à bâbord ou à tribord de notre progression, reflète toujours la pensée du rétrécissement. En fait l’idéologie vieillie d’autant plus vite qu’elle se trouve dans un angle fermé, incapable d’accueillir la différence.
Il nous faudrait continuellement garder la force de créer notre « cage aux fraicheurs », c’est-à-dire vivre en s’augmentant. Kierkegaard dans le même ouvrage écrit que : « Le moi augmente avec l’idée de Dieu, et réciproquement l’idée de Dieu augmente avec le moi. ». Je remplacerais Dieu par l’infini sans l’identifier davantage, sans en faire ni une passion ni une mission car à nouveau l’étau se resserrerait autour du moi.
De toute façon dans la cage nous y sommes, qu’on s’y promène tête perdue ou pas, nous partageons avec l’oiseau le désir de l’envol et si ce désir venait à disparaitre, j’utiliserai à nouveau une conclusion du philosophe extraite de ce singulier ouvrage qu’est « Traité du désespoir » :
« Tant qu’il n’arrive pas à devenir lui-même, le moi n’est pas lui-même ; mais ne pas être soi, c’est le désespoir. ».