« Monsieur le Brigadier… »

« Deux coings, trois poires, quatre pommes.2, 3, 4 en tout neuf fruits inauguraient ainsi ma première récolte. Il faut savoir se contenter de peu mais ce n’est pas rien quand même. Les jeunes arbres ont été plantés l’année dernière avant cette année de sécheresse. Sans embranchement d’eau à proximité du champ, j’ai dû remplir plusieurs seaux que je tirais au puits. Il me fallait alors traverser la petite route de Magouric. Je déversais ainsi deux seaux par arbre soit dix seaux car nous avions plantés cinq arbres fruitiers. Les deux autres n’ont pas donné de fruits. J’espère que vous suivez cette présentation arithmétique. Pour être complet je dois vous informer que les deux autres arbres sont deux pruniers, un Reine-Claude et un Mirabellier. A croire que les prunes sont paresseuses. Je répétais l’opération une fois tous les trois jours, je crois que ça les a ragaillardis.

Je ne vous parle que des cinq arbres fruitiers situés dans le champ qui jouxte le jardin de la maison. Dans ce jardin je dois signaler trois poiriers en espalier le long de la palissade, en limite de propriété. Ce sont trois variétés différentes. A l’extrême gauche se trouve la Comtesse de Paris…

Non, ne m’interrompez-pas, Monsieur le Brigadier. Il faut être précis. Le poirier du milieu est de la variété Beurré Hardy, sur sa droite la Comice. Chacun de ces poiriers portaient une vingtaine de fruits. Une vingtaine, vous m’entendez ! Soixante poires toutes gonflées de chair et de jus mais il fallait encore attendre avant de les cueillir. C’est comme tout, les fruits il ne faut pas se précipiter. Ce n’est pas à vous que je vais décrire le climat sur l’île. Entre les passages pluvieux, le soleil prend son temps. Oui, j’exagère mais il n’y a pas de trop d’un automne pour leur donner le temps de mûrir vraiment. Je suis parti le 17 septembre par le Vindilis de 9h30. Je ne pouvais pas attendre, des affaires m’appelaient sur le continent. Je suis revenu, écoutez bien Monsieur le Brigadier, je suis revenu le 3 octobre ! J’avais acheté un grand panier plat pour ma récolte ainsi qu’un sécateur tout neuf pour ne pas endommager les queues des poires. Attendez, je ne laisse rien au hasard. Je m’étais documenté, j’avais regardé des vidéos parce qu’il est vrai, les fruits ce n’est pas ma spécialité. Ma spécialité ? Je vous l’expliquerai une autre fois Monsieur le Brigadier, je ne voudrais pas prendre tout votre temps.

Bref venons-en à la raison de ma venue. Figurez-vous qu’il n’y avait plus aucun fruit sur mes arbres. Mais vraiment aucun et ni sur le sol, envolés les poires, les pommes et les coings. Volatilisée ma récolte. Vous entendez ! Mais dans « volatilisé » il y a le mot « vol », oui je dis bien « vol ». Il y a des voleurs sur l’île, Monsieur le Brigadier. Il faut sévir car je ne vais pas tous les ans perdre ma récolte. Mais qui sont ces voleurs de fruits qui baguenaudent de village en village. Je sais qu’il y a de la pauvreté sur l’île mais à ce point ! Si cela vous fait sourire, moi pas. A vous écouter cela pourrait être un jeu organisé par des voyous en culottes courtes pour faire râler celui qui n’habite pas là toute l’année. Ce n’est pas parce que c’est ma maison secondaire que je dois accepter qu’on me chaparde des coings et des poires. C’est inacceptable Monsieur le Brigadier et je vous demande de faire preuve d’un peu plus de compréhension à mon égard. Non je ne m’énerve pas mais on voit que ce n’est pas votre récolte. Vous possédez aussi des arbres fruitiers, très bien donc vous comprenez ce que je ressens. On ne vous a jamais rien volé ? Evidemment tout le monde sait que vous êtes brigadier. Enfin vous avez enregistré ma plainte. J’oubliai, voilà les photos des fruits qu’on m’a volés. J’enregistre tout Monsieur le Brigadier. Je tiens un registre précis de ce que je possède car je déteste les voleurs et les ivrognes. Non, Monsieur le Brigadier, aucune pitié pour ces gens-là. Je ne vous demande pas de retrouver les fruits mais au moins d’arrêter les coupables. Au revoir Monsieur le Brigadier. Trop aimable de m’avoir écouté mais dites-vous bien que si rien n’est fait, je vais m’organiser. Au risque d’être condamné, je ne me laisserai pas marcher sur les pieds…Monsieur le Brigadier. ».

Au printemps prochain, quand mes arbres fruitiers seront en fleurs j’irai parlementer avec chacun d’entre eux. Nous étudierons ensemble comment mettre en place un camouflage derrière lequel les fruits seront dissimulés. Nous trouverons une solution pour tromper le voleur.

Le lièvre a traversé le champ. Nos regards se sont croisés.

« Je connais le voleur ! » dit-il. « Je le connais mais je le dénoncerai pas.»

« Hors de mon champ si tu n’es même pas capable de protéger mes fruits. A quoi me sert de t’offrir ce joli logement si tu ne veux pas m’aider. Eloignes-toi d’ici, toi et ta famille. Tu verras bien si le gîte est meilleur dans les champs cultivés. ».

« C’est le brigadier ! » dit-il, « c’est le brigadier ! » .

Son grand corps désarticulé a disparu dans les taillis. Je ne l’ai plus revu.

A la tombée du jour les lièvres de l’île se sont rassemblés sur un promontoire de la côte sauvage. Avec le brigadier ils ont entonné une chanson :

« Deux coings, trois poires et quatre pommes.

Et deux et trois et quatre !

Deux coings, trois poires et quatre pommes.

Et deux et trois et quatre !

Nous sommes les voleurs des vergers

Rien ne pourra nous arrêté sauf notre ami le brigadier ! »

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