Petit Territoire 15

T 15

« Pourquoi la vie a-t-elle été donnée à un homme qui marche dans une route inconnue et que Dieu a environnée de ténèbres ? ».

Job.

Une nouvelle fois il me faut parler du marcheur. Certes l’objet des « petits territoires » ne consiste pas à écrire sur la marche ni faire de ces courts récits un traité pédagogique qui enseignerait la façon de mettre un pied devant l’autre. A défaut d’expliquer la mécanique de la marche, ce que chacun d’entre nous connait depuis sa petite enfance, il me semble plus intéressant de tenter de comprendre la raison qui nous pousse à marcher. Job posait la question : « Pourquoi la vie a-t-elle été donnée à un homme qui marche dans une route inconnue et que Dieu a environnée de ténèbres ? ».

Les ténèbres sont les deux pans d’un manteau qui se rassemblent ou se séparent de chaque côté d’une route. L’homme avance ou recule mais elles ne disparaissent jamais. Job en évoquant les ténèbres nous plonge dans des univers sombres et chaotiques alors que cette route détestable zigzague sans mener à un endroit porté sur une carte.

Alors pour quelle raison cet immense mécano ?

Là où l’homme avance nu avec pour seul outil une boussole qui indique le Nord magnétique, commence les ténèbres. L’orientation donnée n’est pas celle qu’il a choisi, incapable de sortir du chemin il poursuit une direction énigmatique : la direction que montre l’aiguille est un simulacre. L’homme dans sa solitude est un simulacre. En fait, l’homme n’existe pas. Ce que Dieu nous donne, la possibilité de progresser sur une route ou plus précisément la faculté d’errer indéfiniment, n’est qu’une façon lointaine de nous accompagner. Pour Dieu nous ne sommes rien et de ce rien il faudrait devenir des hommes heureux et charitables. La vie qui nous est donnée est un déguisement, son unique nécessité est de nous faire ressembler à un homme. Job fait le constat de l’existence de l’homme. Mais s’il n’était qu’un leurre et si nous n’avions aucune existence ?

Seules les ténèbres se multiplient sur les champs de la vie. Elles chuchotent jour et nuit une poésie que je ne comprends pas.