1er juillet 2021, Saint-Nom la Bretèche.
Nous sommes tous des Joseph K.
2 juillet.
Et puisque nous sommes tous des Joseph K, je danserai sur la musique de B.B.King, « It’s a great, great pleasure. » jusqu’à ce que l’éternité vienne me cueillir avec le peu d’aménité dont elle est capable.
Encore un mot, j’emmerde l’éternité et ses portes fermées. Je l’emmerde et je danse et danserai le Rock and Roll jusqu’à la fin sur un air de B.B.King… .
3 juillet.
Le piano est un instrument d’opéra. C’est un opéra à lui tout seul mais ils se sont rarement rencontrés.
4 juillet.
Un coup de pied de soleil sur un angle de la terrasse, la brique rouge s’éveille, échappée d’une longue nuit orageuse. Fleurs de thym, parfum des menthes, les roses ont plié sous l’orage, de la terre mal essorée s’exhalent des parfums mélangés, enrichis par la complexité du monde. Je me tiens immobile tel un échassier, le cœur en bandoulière. A l’intérieur rien n’est vraiment rangé. Un cœur qui me suit sans me guider, bourré de chiffons, de vieux papiers et d’encriers vides. C’est ce que je possède, par la fenêtre ouverte j’entends la voix de Diana Krall. Mon cœur est un seau qui se remplit de la beauté transparente de sa voix. Diana Krall chante « The girl in the other room. » et moi, immobile tel un échassier, je suis debout frappé par un coup de soleil qui sans prévenir disparaitra derrière les nuages qui s’accumulent à nouveau.
5 juillet.
Yaël Pachet écrit dans Les Moments Littéraires, n°46 : « …Quand j’écris, mon corps ressemble à un tapis enroulé sur lui-même qu’on aurait posé debout contre un mur en attendant un déménagement. Il s’affaisse sans que personne ne prenne soin de lui. ». Et d’annoncer, qu’elle n’est pas sûre d’aimer écrire.
Au-delà de l’image réaliste que l’auteure nous permet de voir, je dois reconnaitre que la représentation que je me fais de mon corps est étonnamment différente. Mes sensations devant un écran ou la page d’un carnet, ne sont nullement figées encore moins repliées sur moi-même comme un tapis roulé. Je me prépare psychologiquement avant de m’assoir et d’écrire, plus exactement j’étire mes cellules du cerveau, je tire sur mes bras et mes jambes, je sautille sur place et me prépare à danser. A mesure que les lettres apparaissent, je suis à la fois danseur, chef d’orchestre, artiste peintre devant sa toile, « et tu mettras bien là un peu de rouge, une tâche de bleu ou le vide… ». Inévitablement, il arrive un moment où je me regarde écrire et c’est le début de la catastrophe. Je fais alors une pause, je tente d’oublier qui je suis afin de donner l’entière liberté à mon corps de se dérouler à nouveau car c’est lui seul qui commande mon rythme, lui seul qui imprime la ponctuation, lui seul qui utilise ma voix pour chanter les mots, construire les phrases. Il me pousse à trouver l’aboutissement ; quand je m’écarte du chemin il siffle le rappel. Avec uniquement un cerveau à la place du corps, il me serait sans doute impossible d’écrire. Tout comme il me serait impossible de jouir, l’écriture est un entrainement physique et cérébrale, tout comme courir. La fréquence du cœur, l’oxygénation permettent d’atteindre un degré plus élevé, celui de l’esprit et de l’âme, le bonheur de vivre.
Alors, contrairement à Yaël Pachet, je n’ai guère de doute : j’aime écrire. Cela ne présage en rien de la qualité de l’écriture ni de la compétence de l’artiste. Quand j’écris, je ne me compare pas à un mineur mais plutôt à quelqu’un qui gratterait la terre, superficiellement, comme mon grand-père quand il partait des journées entières sur les volcans d’Auvergne récolter des cailloux, des minéraux pour enrichir sa collection. Si l’effort devient trop important, je m’arrête de travailler. Je me lève, descends prendre un café puis je regarde par la fenêtre, soulagé.
7 juillet.
Nous vivons quotidiennement dans une rumeur. Sans en connaitre l’origine ni la raison, nous traversons les limites précises de notre temps borné par la naissance et la mort, dans la présence assourdissante de la rumeur. Mais qu’est-ce, véritablement ? L’accumulation des bruits et des sons plus ou moins mélodieux qui accompagnent notre existence. Cela commencerait par une succion suivie de chants non identifiés, les oiseaux, les vents, une source et les paroles. Les paroles de notre mère qui protègent, aussi l’éclat des voix assénées comme des coups martelés. La rumeur nous façonne jusqu’à nous transformer et faire de nous un être que nous n’imaginions pas être, encore moins devenir. De l’aube au crépuscule, elle nous remplit comme une outre.
10 juillet.
Encore une nuit où j’ai rêvé que je me déplaçais en courant. J’arrivais juste à temps à un rendez-vous mais que je dus écourter car un autre suivait et que j’avais encore beaucoup à marcher pour m’y rendre. Ensuite il m’a fallu prendre l’avion pour aller dans je ne sais quel lointain pays. Un rêve actif où le corps emporté par une belle allure parcourait des kilomètres sans effort comme s’il volait.
En ouvrant les yeux j’ai immédiatement remarqué la paire de béquilles à proximité du lit.
« Allez donc, j’ai échappé à votre contrôle cette nuit ! D’accord, je ne peux que me rendre à votre surveillance aujourd’hui encore mais je vous préviens, dès que je peux vous jeter par la fenêtre, je n’hésiterai pas une seconde. Libre à vous de trouver un autre écloppé. ».
11 juillet.
Le Président François Mitterrand s’avance devant le tribunal. Il allait être jugé. Curieusement il ne semble pas vouloir se justifier, n’exprime aucun sentiment de révolte, écoute patiemment la longue liste des fautes qui lui sont reprochées.
Puis vient le jugement, sans appel, le Président Mitterrand est condamné à mort et sera donc exécuté. Je marche dans la rue sous une chaleur étouffante. Dans les kiosques à journaux, la presse exhibe de gros titres : les derniers jours du Président, le drame de la République, l’identité du bourreau restera secrète etc… .
Bien que je n’éprouve pas une grande sympathie pour François Mitterrand, je me dis qu’à notre époque, nous n’avons plus le droit de guillotiner un Président de la République ni personne d’ailleurs mais un Président ! Je ressens de la honte et cherche le chemin le plus court pour rentrer chez moi.
Deux jours avant ce rêve étrange, j’avais vu le film de Ken Hughes, Cromwell avec Alec Guinness interprétant le Roi Charles 1er . La performance d’Alec Guinness dans le rôle d’un roi pas vraiment despote, hésitant, sous influence et légèrement bègue est excellente. Sa montée sur l’échafaud et ses dernières paroles, impressionnent.
Mais pourquoi donc avoir remplacé Charles 1er par François Mitterrand ?
Il est vrai qu’avec le confinement, les difficultés à sortir de chez soi et une entorse pour parachever cette longue période d’immobilisation, le spectacle qu’offre la vie à l’extérieur, les paysages, les gens, l’observation du monde animal est devenu si médiocre et vain qu’il n’est peut-être pas impossible de se créer un spectacle intérieur dans lequel rêves et cauchemars, lectures, films et musiques participent à remplacer la vie qui se déroule derrière les fenêtres de nos maisons.
Ainsi nous ne cessons de chercher l’équilibre entre le dedans et le dehors, le in/out, picorant pour nous préserver un peu de tout, un peu de rien de chaque côté d’un mur qui marque la frontière entre nos deux infinis, l’ouvert et le fermé.
12 juillet.
Comment définir l’infini fermé. A priori les deux termes s’opposent pourtant je me souviens qu’adolescent, j’avais été fasciné par une tâche d’encre jusqu’à me concentrer sur l’illustration d’un point par…un point. Je trouvais alors matière à imaginer des mondes lointains à l’intérieur du périmètre réduit de ce qui en apparence, n’était que la représentation d’une ponctuation plus ou moins géométrique, le plus souvent de forme hasardeuse comme une tâche, un « pâté » comme on le qualifiait dans notre enfance, chose sale, miséreuse, sans intérêt qui appelait à une punition. « Tu me recopieras cent fois… ».
Je n’avais alors aucune connaissance de l’existence des tests de Rorschach, il me suffisait de plonger à l’intérieur du point qui s’ouvrait sous mes yeux comme l’ouverture d’un puits et d’imaginer derrière ce que je ne voyais pas, un infini en apparence clos mais qui rebondissait vers des lointains inaccessibles par le corps mais ô combien aventureux par l’esprit. Nul besoin de fumer ou d’absorber des produits illicites, je poussais naturellement ma virginité dans la présence des infinis avec une curiosité, une volonté de traverser des territoire non pour les conquérir mais pour les observer sans cesse guider par le désir inapaisé d’admirer.
Cette virginité m’habite encore au point qu’il me semble que chaque jour apporte un nouvel éclairage sur la vie autour de moi, chaque jour ouvre une porte vers l’inexploré et qu’il n’est pas nécessaire de franchir la frontière entre nos deux infinis, l’ouvert et le fermé. Néanmoins il est vrai qu’utiliser des ersatz que sont par exemple les livres, les films, la musique à l’intérieur de son espace privé, revient à franchir le mur de séparation pour se rendre claudiquant vers le monde extérieur. A moins de vivre en ascète ce dont je me sens incapable, la communication voir la fluidité entre les deux infinis me semble impossible à éviter pour vivre tout simplement.
13 juillet.
Encore une journée froide. Je ne cesse de penser au Journal de galère d’Imre Kertesz, à l’ambiance particulière des pays de l’est. Kafka n’aurait sans doute pas produit son œuvre s’il était né au sud de Naples. Réflexion à la fois superficielle et fausse, pourtant le manque de luminosité ne serait-il pas à l’origine de ces aventures sombres où l’homme trouve difficilement l’éclat tellement nécessaire à la construction approximative du bonheur. Rescapé du camp de Buchenwald, Imre Kertesz n’avait guère le talent de se contenter d’une lumière d’aucune sorte, naturelle ou superficielle. Il lui fallait autre chose mais d’abord « tenir », « rester debout ». Extrait de son Journal :
« Quelle que soit ta croyance, tu mourras ; mais si tu ne crois en rien, tu es déjà mort de ton vivant. ».
14 juillet.
En observant les arbres du jardin, bouleau, cyprès chauve, tilleul, pommier, hêtre, je me dis que chacun joue sa partition, la difficulté est de savoir écouter. Aussi les plantes dans leurs pots, fleurs et plantes aromatiques, au lieu d’utiliser l’archet en glissant sur les cordes ou de souffler dans les instruments à vent, elles jouent pizzicatos une musique pincée, aigrelette en accompagnant les partitions quelques fois solennelles des grands arbres. Mais il faut savoir écouter. Résultat d’une longue préparation qui commence par identifier sa présence au monde, répondre aux questions aussi difficiles que : pourquoi suis-je ici, dans la nécessité de quelle entreprise, ne serais-je l’objet que de ma solitude ou devrais-je expliquer ma présence par celle des autres et qui sont les autres véritablement. Avec le temps et sans qu’on ne le sache vraiment, une partition s’écrit avec ses clés et ses silences pour finalement produire notre propre musique. Une musique à soi que je me dois d’interpréter et rejoindre ainsi la musique végétale des arbres et des fleurs, échanger nos accords, se souvenir de nos échos qui percutent la clarté du monde, jusqu’au soir qui s’étire avec notre dernier soupir.
15 juillet.
Il ne peut imaginer vivre autrement qu’agité d’une perpétuelle vibration. Qui est-il donc ? Une guimbarde, dans le bourdonnement du monde.
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