3 aout 2021, Magouric.

« Le Français n’a plus de milieu social, il n’a plus de milieu intellectuel.».

Lettre de George Sand à Gustave Flaubert, 2 décembre 1868.

Quand nous sommes témoins d’une pensée approximative, constituée de bric et de brocs récoltés au hasard des rencontres, au coin d’un bar, à l’absorption sans modération d’informations hâtives, non vérifiées, tout simplement dépourvu d’esprit critique de la part du consommateur (tout aussi dangereux que la consommation sans modération d’une bonne bouteille), ne serions-nous pas en droit de chercher la raison de ces postures qui nient l’existence d’une vérité quel qu’elle soit. Sans pour autant être l’unique raison de la grogne voir de l’ensauvagement d’une partie certes minime de la population, il y a me semble-t-il un manque important de mixité social qui provoque l’incompréhension, la jalousie tendance assez française devant la réussite souvent méritée et l’impossibilité de savoir écouter l’autre, savoir qui devrait être enseigné dès le plus jeune âge.

Personne ne pourra jamais me taxer de militariste mais le Service National obligatoire pour les jeunes, considéré par ma génération comme une perte de temps, une année au minimum, permettait néanmoins aux différences sociales de se rencontrer rendant impossible d’ignorer l’autre quel que soit son milieu d’origine. Ces rencontres obligées n’existent plus aujourd’hui. Il me serait désormais impossible à moi fils de bourgeois du septième arrondissement parisien, de partager la chambrée avec un jeune plombier, un ouvrier agricole, un artisan spécialisé dans le travail du verre, un jeune de banlieue qui cherche sa voix, un philosophe qui règle sa vie en suivant les préceptes de Saint Thomas d’Aquin etc… .

Recréer une façon de nous retrouver, de partager nos vies quotidiennes dans le cadre d’une œuvre sociale autre que militaire, par exemple vouée à l’assistance de personnes en difficulté ou à la protection de la planète, participerait à lutter contre le populisme de toute sorte. Le service militaire coûtait trop cher, progressivement l’armée étant devenue une armée de métier, l’arrêter n’était pas une mauvaise idée mais « le service » lien social et rendez-vous avec ce qui devrait souder une nation n’a jamais été remplacé.

Sans doute que mon expérience dans le kibboutz Afikim en Israël à proximité du lac de Tibériade alors que j’avais dix-huit ans, m’a rendu sensible à une forme d’égalité en découvrant l’organisation sociale d’un kibboutz que je ne vais pas reprendre ici. Mais de voir que l’ingénieur, le patron de l’usine enfin les personnes hiérarchiquement hauts placés car il y en a mais le sont à tour de rôle (en tenant compte malgré tout des connaissances et de l’expérience professionnelle), sont de corvées de plonge ou de travail au champ selon un rythme préétabli, permet de constater le vide abyssale dans un espace aussi petit qu’un pays comme la France, entre les individus d’éducation et de milieu différents.

Si je ne tiens pas le kibboutz comme le type parfait d’organisation sociale à reproduire, il n’en est pas moins vrai que les expériences positives du passé encadreraient nos errements actuels pour jouir d’une plus grande liberté, la première étant de vivre en harmonie avec son voisin. Car le Français ne semble plus avoir de milieu social ni de milieu intellectuel. Les raisons sont multiples : mondialisation, course effrénée à la productivité, culture du chacun pour soi, nivellement par le bas de l’éducation et déresponsabilisation.

Déjà un siècle et demi nous sépare de la constatation consignée par George Sand.

5 aout.

Les notes manuscrites dans mes carnets sont comparables aux punaises de différentes couleurs que j’utilisais pour marquer les étapes d’un voyage sur une carte routière. Pratique désormais abandonnée depuis l’utilisation du GPS. Ces notes sont le plus souvent brèves, quelquefois un seul mot pour retenir l’impression fugitive ressentie au moment de l’écrire.

Il me suffit alors de reprendre le carnet et de transformer ces morceaux de textes en une réflexion, une histoire, une poésie qui vont courir sur plusieurs pages.

6 aout.

Il n’est pas juste de naitre beau ou laid. Dans tous les cas nous le vivons comme une punition qui n’est pas méritée. Être laid ou beau nous oblige à nous confronter au regard de l’autre. Même Apollon ou Venus seraient fatigués par l’admiration et l’envie des autres. Alors tout compte fait il faudrait naitre « passable », avec une touche de laideur et une touche de beauté.

Toujours la recherche de l’équilibre, le plus difficile.

7 aout.

J’ai la sensation d’être devenu un paquet d’os qu’il faut remettre dans l’ordre chaque matin en me levant. Je commence mes journées façon puzzle.

8 aout.

L’homme d’une quarantaine d’année se tient debout au milieu de la plage. Il porte une casquette rose, de sa main droite il frappe un seau jaune avec une petite pelle en plastique de couleur verte. Il tapote sur le seau pour le vider du sable qu’il contient. Mais une fois le seau vidé, il continue à tapoter sur l’objet en le retournant régulièrement pour s’assurer qu’il est vide. Curieusement il continue son geste alors que plus rien ne tombe du seau. Tout seul il réussit à couvrir les sons de la plage, rire des enfants, fracas des vagues car c’est marée haute. Personne ne l’informe que le seau est vide, lui-même ne semble pas le voir bien qu’il le retourne régulièrement en glissant l’autre main à l’intérieur.

Il continue encore et encore. Bientôt dix-huit heure, de gros nuages menaçant s’accumulent au-dessus de la plage. Naturellement les gens se rhabillent et quittent progressivement le lieu.

L’homme bientôt seul continue de taper sur son seau.

Mais pourquoi taper sur un seau vide, me dis-je, alors que la vie nous donne si souvent l’occasion de le remplir.

9 aout.

Il est arbre à papillons.

Il marche sur le sentier côtier, des dizaines de papillons se posent sur ses bras, ses jambes nus et sur sa tête. Ils se désaltèrent à sa transpiration.

Il est aussi un peu fontaine.

Les nuits de pleine lune, il se tient nu au milieu du champ, debout les éclats de lune ruissellent sur son corps comme de l’eau. Des oiseaux nocturnes viennent s’abreuver.

Et quand vient l’aurore, il devient puits.

A l’abri des regards il récite une prière qui ne s’adresse à aucun Dieu.

11 aout.

Le seul véritable feuilleton littéraire de l’été est célinien. La découverte de milliers de feuillets manuscrits de L.F.Céline  viendront enrichir des éditions considérées comme définitives, de nature à augmenter considérablement le patrimoine de la littérature française.

J’entends par ailleurs les maitres de la morale qui tartinent leur dégoût sur ce qu’était l’homme Céline, se montent du col au prétexte qu’atteindre un tel degré d’antisémitisme rend impardonnable voir répugnant l’obstination de certains intellectuels à sauver ou statufier le soldat Céline.

Ces amalgames cherchent à étouffer notre liberté de penser, notre appréciation littéraire, simplement notre respiration naturelle qui s’accorde bon an mal an avec le bien, avec le mal.

Céline n’était certes pas un auteur humainement fréquentable mais il s’est hissé dans la littérature au niveau de Rabelais, des grands prosateurs. Il a fait école et il ne serait pas inconvenant que les générations d’auteurs arrivées après Céline, reconnaissent ce qu’ils lui doivent non pas seulement à propos de la syntaxe mais aussi de l’humour, de cette posture particulière où sont étroitement mêlées méchanceté et générosité, enfin un cocktail incomparable dans la littérature française qui fait de l’auteur un des plus remarquables du vingtième siècle.

J’observe une forte tendance ces dernières années à la montée progressive des interdictions de toute nature, préalable à une société fascisante qui se fonde sur des amalgames les plus crétins pour tenter d’établir des ersatz de vérités où l’inculture se mêle à la férocité.

Publier et republier Céline est affaire d’oxygénation culturelle.

12 aout.

Aujourd’hui, moi est à côté de moi. Je ne suis pas moi-même, seul. Je ne suis pas non plus un autre, c’est très simple. Moi est venu se joindre à moi et si j’osais, je pourrais parler de nous et même informer d’une action en utilisant le pronom « on ».

Par exemple :

« On a pas hésité à sauter dans l’eau » qui pourrait se dire aussi « Nous avons fait du vélo » et d’ajouter « Qu’est-ce qu’on était heureux ! ».

L’intérêt, se sentir plusieurs. Il est vrai qu’un moi ajouté à un autre moi, ne suffit pas à effacer la solitude. On dit aussi, moi et moi, que la solitude à deux est souvent plus difficile à supporter que la solitude seul. C’est-à-dire que deux solitudes ne s’additionnent pas, comme certains liquides qui ne sont pas miscibles. Mais quand nous allons à la pêche et qu’on rentre fiers de nos prises, on ne pense pas à nos solitudes, on est juste deux compagnons l’un à côté de l’autre, deux moi ou deux vieilles canailles engagés dans une conversation un peu folle, moi répondant à l’autre moi, voir même jusqu’à se disputer. Entre-« moi(s) », ce n’est pas improbable qu’un moi ne supporte plus l’autre.

Enfin demain sans doute, il n’y aura plus de moi à côté de moi et je pourrai sautiller sur le chemin en poussant des petits cris d’animal sans craindre les rouspétances de l’autre moi.

15 aout.

Journée, lumière gommée alors qu’hier.

Hier, ciel bleu poli par le soleil.

Hier, vagues crénelées de blanc,

Les grandes écumeuses.

Journée, musique cliquetante des feuilles du figuier dans le vent,

Force courant d’air,

Entre caresse tiède et soufflet hésitant.

Le chien d’une maison voisine aboie

Agacé sans doute par les feuilles de figuier.

A propos les figues quand est-ce qu’elles vont mûrir,

Réunies par petites grappes de deux ou trois fruits, elles feraient mieux de se concentrer

Plutôt que d’écouter le….

Ah, ces feuilles larges comme la main avec seulement trois gros doigts,

Quelques fois cinq.

Le hameau, roulé en boule, sèche serviettes et maillots dans l’attente de

Demain, annonce d’une journée ensoleillée,

Les représentations des grandes écumeuses affichent « complet ».

Profitez mes belles, bientôt septembre ensuite l’automne,

Sur le sable disparaitront les ornières des attroupements,

Les châteaux de sable et le négatif de la course d’un petit enfant nu.

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