LE COUILLON.

Nous sommes cinq clients qui attendons notre tour. Gaela va le servir, cela fait sept personnes à l’intérieur de la petite boutique.

Pas très grand, cheveux noirs et lunettes sombres, habillé comme si l’automne avait commencé. Une quarantaine d’années, porte sac à dos et deux cabas. Il se penche pour palper les melons. Il en soupèse un puis un autre, revient sur le premier, se décide pour un troisième. En se redressant il déclare d’une voix douce en s’exprimant lentement que les melons sont mous ou trop durs.

« Regardez celui-ci. Il est un peu mou sur le côté. Pourquoi cette auréole jaune ? »

« Faites voir. Non, il est très bien ce melon. »

« Je ne suis pas sûr. La dernière fois j’en ai pris un trop dur. Il n’était pas sucré. »

« Vous savez, nous arrivons à la fin de la saison. ».

Gaela, debout derrière son comptoir le regarde droit dans les yeux. Elle ne sourit pas.

« Je voudrais un oignon. »

Il le choisit avec précaution en le tournant dans tous les sens puis le lui tend silencieusement. Elle le pose sur la balance. Il se courbe à nouveau du côté où sont achalandées les tomates. Il en choisit quatre. Plus précisément, il en soupèse une dizaine avant d’en sélectionner quatre.

« Très bien. Vous voulez autre chose ? ».

« C’est-à-dire que je voudrais un melon. »

« Alors choisissez… »

« Mais je ne voudrais pas prendre de risque. Vous comprenez, ils sont trop mous ou trop durs. »

Gaela, imperturbable :

« Cher Monsieur, je ne prendrai pas le risque de vous en vendre un. Alors mettons celui-là de côté. » dit-elle en prenant le melon qu’il faisait rouler dans le creux de sa main droite.

« Oui, je vous comprends. Mais c’est dommage quand même.  Bon, ce sera tout. »

« Dix euros soixante-cinq. ».

Il pose ses cabas, ouvre le sac à dos et cherche son porte-monnaie. Il compte les pièces, l’une après l’autre, les dépose sur le comptoir. Les recompte à nouveau, s’assure que la somme est juste. Gaela rend la monnaie. Il compte encore puis glisse ses légumes dans un cabas.

« Je voulais vous dire, les pommes de terre que j’ai achetées hier… »

« Oui je me souviens… »

« Vous savez, il y a trop d’amidon dans ces pommes de terre. Il faudrait faire attention… ».

Sereine elle répond qu’elle n’est pas dedans, qu’elle ne maitrise pas le taux d’amidon dans une pomme de terre. Il acquiesce devant la difficulté.

Alors que nous pensions que la discussion s’arrêterait là car il commençait à exécuter un demi-tour pour sortir du magasin, il se retourne une dernière fois vers Gaela.

« Dites-moi, le melon. Je veux bien prendre le risque mais vous pourriez me faire un prix… Car vraiment je ne sais pas… ».

Décidée de se débarrasser de lui, elle prend le melon, le pose sur la balance et le visage de plus en plus fermé, le lui tend.

« Un euro.»

Il sort une pièce et s’en va.

Demain il reviendra, il vient tous les jours nous dit Gaela exaspérée.

Potirons, poivrons, tomates-bonbons, courgettons, oignons, cardons, potimarrons, fenouillons, melons, voilà quelques exemples des petits légumes que Gaela et son mari cultivent biologiquement avec amour et détermination. Bien sûr s’ajoutent à ces créations d’orfèvre les concombrons, les aubergeons, les pommes de terre grenaillons, les pommes en l’air ronron, les navons, les saladons et quelques fois des petits pimonts.

Pour vous dire, impressionner Gaela n’est pas à la portée de n’importe quel couillon.

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