1er septembre 2021, Magouric.

D’abord je demande gentiment aux portes de la maison de cesser de claquer de façon inconsidérée. Ce n’est pas parce que le vent se prenant pour un hidalgo parcourt les couloirs et les chambres alors qu’il n’est pas invité, qu’il faut se comporter comme des groupies en rut. Elles ne m’écoutent pas, tournent sur leurs gonds engagées dans une dance érotique pour tenter de retenir le bellâtre.

Me voilà dans l’obligation de me fâcher et décide de les fermer ou bien de glisser sous leurs parures de gitanes, un cal-porte.

Le cal-porte pour les portes, la laisse pour les chiens. Cela fait, je retourne dans ma cage pour écouter paisiblement la mélodie composée par le vent.

2 septembre,

Vent d’est. On dit « s’est levé, n’est-ce pas ? »

Cinq heure, précisons, le matin.

Croissant de lune. « Comment dire autrement que croissant ? Premier quart ? Lune montante ? »

Pourquoi la forme du croissant devrait-il prendre l’avantage ? et pourquoi pas goutte de lune, larme de lune, épingle de lune, ogive de lune… .

Nuit noire, c’est certain il n’y a pas de blanc si ce n’est l’éclat de l’astre lunaire.

Dans deux heures trente, lever du jour. Il est plus doux d’utiliser le mot « aube ». « Lever», c’est l’opposé de « coucher » tout cela semble bien mécanique, ne manquerait plus qu’une clé. Tandis que l’aube accentue une progression vers le jour.

Qui ne se lève pas ?

Le vent d’est, la pâte à pain, moi, toi, les oiseaux et les chevaux. Pour les chevaux c’est un peu différent car ils dorment debout. Ils ne se lèvent pas comme nous.

Enfin tout le monde se lève.

Peut-être le mille pattes, l’ombilic, le poisson et le mort. Pour le mort c’est un peu différent car une fois ce stade atteint, plus rien ne se lève.

Rien c’est-à-dire tout.

Certains imaginent la possibilité de se relever après la mort. A vrai dire, je ne l’ai jamais lu dans les déplacements du vent d’est, encore moins à cinq heure du matin alors qu’il est inimaginable de penser qu’on va se relever puisqu’on vient juste de se lever.

Je prête au croissant de lune, étape intermédiaire avant d’atteindre la pleine lune, la possibilité de se lever, ce qu’elle a fait la toute première fois mais j’étais absent et de se relever régulièrement.

La lune ne meurt jamais, elle n’est donc ni « rien » ni « tout ».

Comment nommer ce qui n’est ni « rien » ni « tout » ?

3 septembre.

« Love walked away

And I walked away with love »

Abbey Lincoln, Love has come away.

De l’amour et des parfums, de la soie et de la pointe des seins, des appels sans réponse, des déclarations et des déserts, du drap tiré sur le corps à marée haute, nos brassée de goémons, la gratitude de tes mains.

Il me souvient de la fournaise.

Sur un air de… .

Puis me revient en mémoire la constatation couperet d’Imre Kertész dans « L’ultime auberge » :

« Les choses sont plus simples quand on aime pas. ».

4 septembre (suite).

N’a-t-il pas écrit dans le même ouvrage :

« Auschwitz a eu lieu, et le fait qu’il a (pu) avoir lieu est irréversible. C’est en cela que réside la grande signification d’Auschwitz. Tout ce qui a eu lieu influence tout ce qui peut encore avoir lieu. On ne peut pas effacer ce fait du temps, on ne peut pas l’effacer du processus qu’on appelle, faute de mieux, le destin. Et on ne peut rien y changer. ».

Encore aujourd’hui, conserver le souvenir d’Auschwitz… .

5 septembre.

Sur la plage, après la disparition énigmatique du Monsieur qui portait une casquette rouge, rappelez-vous c’était au mois d’aout, est arrivé septembre, immobile sous le feu rouge du soleil. Les plages ne sont pas désertées, un autre public apparait, ébouriffé, le pas hésitant, la bedaine en avant. Ils ont remplacé les petits enfants par des fauteuils pliants qu’ils tirent derrière eux en laissant dans le sable sec de petites ornières, comme s’ils déroulaient une longue compagnie avec le temps. Certains soufflent, d’autres se tiennent droits dans leurs slips de bain bleu marine, ils vont à la mer assurés qu’ils ont encore vingt ans. Les femmes restent un peu plus longtemps dans l’eau qui ne monte pas plus haut que les genoux, elles bavardent en se prenant des airs d’indifférence, mais non vraiment elle est juste un peu fraiche, façon d’exprimer que la température de l’eau n’est pas le sujet. Un homme aux chevaux blancs plutôt beau gosse, avance décidé dans l’eau froide, un petit masque de plongée attaché à la ceinture. Il va faire ses longueurs.

J’observe un Petit Gravelot sautiller sur le sable, curieux en cette saison. Habituellement il se fait remarquer en bandes pendant l’hiver. Avec le geste précis d’un acuponcteur, il picore le sable en sautillant, le crâne agité d’un petit soubresaut qui revient à un rythme régulier. N’aurait-il pas été remonté ce matin avec une clé par le maitre des heures. Nous sommes plusieurs à admirer son élégance, sa petite taille nous touche et nous souhaiterions qu’il ait de nombreux amis.

Donc dès le premier jour de septembre, une dizaine d’hommes et de femmes qui partagent un tour de taille identique, une calvitie ou des chevaux blancs, des grosses chaussures ouvertes de marque allemande qui aident à tenir debout les plus lourds sans se tordre la cheville dans le sable sec, coiffés d’une casquette à visière ou d’un bob mou, le regard dissimulés derrière des lunettes sombres, descendent à la plage. Ils arrivent séparément, la chaise pliée sous le bras, le petit parasol sous un autre bras et le sac de plage dont on ne voit pas ce qu’il contient mais il est facile d’imaginer : un téléphone portable, de la crème à postillonner contre les rayons du soleil, une ou deux serviettes de plage, un maillot de rechange au cas où, des mots croisés, une petite bouteille d’eau et puis, moins lourds à porter mais d’une importance fondamentale, les histoires de l’été qu’ils vont se raconter jusqu’au début de l’automne.

Les deux premiers s’assoient côte à côte, puis viennent les autres, créent un alignement, plus précisément une courbe, pour s’entendre c’est plus facile.

Ils se connaissent depuis de nombreuses années déjà. Ils sont comme des mouettes rieuses qui se lanceraient des défis ou entameraient des débuts de conversation sans jamais les finir : « Je parie que tu n’iras pas te baigner. Si tu connaissais ma sauce tomate que j’ai concocté avec les tomates de Gaela. Le petit là-bas, si les parents n’interviennent pas, il va se noyer… . »

Jusque vers dix-huit heures, les mouettes rieuses campent sur la plage leurs conversations de pacotille, deviennent rouge homard après l’avoir plongé dans l’eau bouillante, puis progressivement quittent la scène, du sable dans le slip et dans les chaussures, le corps cabossé et huileux, le pas un peu plus hésitant et le regard sec.

Les plages sont des livres ouverts qui racontent l’histoire des enfants et des familles, des couples encore ivre du premier baiser, des vieillards assoupis ou frétillant, des jeux et des larmes, des corps de Venus et d’Apollon, des nudités tristes pourtant belles en hiver.

J’aime la lecture des plages, ces espaces en apparence vides où rien est écrit mais où tout le monde se raconte en s’habillant de faux, laissant échapper quelque fois une larme ou une caresse. Tous sont entre parenthèse avant de reprendre le travail quotidien, les rencontres sur le net car il est rare que les amours de vacances jouent les prolongations.

Seul à la terrasse d’un café, avant que le froid de l’hiver n’oblige à garder les portes closes et que les corps ne disparaissent sous les épaisseurs de laine, le Petit Gravelot vide son verre de muscadet, il n’a plus soif depuis longtemps mais qui sait si, sous le regard d’une mouette rieuse, ne viendrait pas s’asseoir à sa table une gravelote brune aux seins lourds.

7 septembre.

Elle est brune, elle est rousse, le corps tacheté de diamants noirs. Je compte quatre pattes à l’avant, deux à l’arrière et une petite de chaque côté de l’abdomen. La tête tournée vers le bas, elle joue au funambule. C’est une funambule qui ne cesse de tisser et d’étendre sa toile devant les deux fenêtres de la chambre et la porte d’entrée orientées plein sud. Les toiles ne cessent de s’agrandir, petites feuilles, pétales de fleurs et insectes sont retenus dans les fils tendus du garde-manger. Si je ne fais rien, les araignées vont encapuchonner la maison comme Christo, l’Arc de Triomphe. Je ne peux l’accepter alors de temps à autres, je brise la toile à une de ses extrémités. L’alerte est immédiatement donnée, l’insecte se déplace dans le sens opposé en proférant sans doute des menaces désagréables mais que je n’entends pas. J’évite de l’embêter davantage et lui recommande un peu de modestie dans ses prétentions. Bien qu’admiratrice de Christo, elle n’en a pas les moyens et de toute façon notre maison n’est pas l’Arc de Triomphe.

J’interpelle Christo, l’araignée : « Combien de victimes avez-vous encore fait la nuit dernière ! ».

Le vouvoiement sied aux araignées.

8 septembre, Saint-Nom la Bretèche.

Difficile de ne pas évoquer le retour à la réception du texto de MSau… :

« Magouric se vide. O part aujourd’hui et M dimanche. Ma sœur part demain matin. Nous allons tout droit vers l’automne. Amitiés. ».

O ce premier été sans son mari, entourée de sa famille. Je l’observe partir seule à la plage, peindre son portail, courageusement se maintenir à flot, expression que MSem aurait apprécié à sa juste mesure. A un autre niveau, celui de l’amitié, je ressens aussi son absence. Il faut du temps pour s’habituer à l’absence bien que je trouve ce verbe insupportable. Les gestes et les voix de celles et ceux qui m’ont été proches, s’effacent rarement. Je cultive sans effort la mémoire sous la forme de miroirs qui se renvoient des reflets. Cela fonctionne comme l’écho d’une voix qui vous revient. Nous sommes tous une clairière, au soleil et à l’ombre en fonction de l’heure, nous sommes  encerclés par les voix et les caresses, les sourires des nouveaux nés et les morts qui partent pour l’exil.

Vivre les arrivées et les départs qui montent jusqu’à soi et se retirent, vivre la marée des hommes. Si cela ne se vit pas sans douleur, il y a toujours une place pour une joie intense.

9 septembre.

Incorrigible mélancolie :

C’était l’époque où un bon mot rendait joyeux une tablée,

C’était l’époque où une émotion faisait tourner les têtes,

Où dans l’ombre d’un couloir, j’ouvrais l’armoire à secrets,

Des billes égarées sous le poirier, des osselets en nombres pairs, manquait toujours le rouge,

Du parfum Chanel de ma mère qui m’invitait pour un long voyage,

L’époque de mon père torse nu dans son atelier,

C’était l’époque des chats fugueurs et des enfants des autres,

De l’hiver roulé en boule dans la cheminée,

Du film à la télé avec Jean-Paul Belmondo,

Des souris qui partouzaient dans les greniers,

C’était l’époque des longues conversations où je devinais lequel d’entre nous allait perdre patience le premier,

De la neige et de l’azur, du cache col et des gros souliers,

L’époque où ma mère craignait que je prenne froid,

D’un peu de gelée de coing sur une tartine géante à l’heure de goûter,

De l’église où même si on entrait nu, on se sentait endimanché,

Des bougies sur un gâteau, des verres pleins, des verres vides, de la joie et du chagrin,

C’était l’époque où j’étais envahi d’une émotion soudaine devant les cuisses blanches de Virginie,

De la balançoire et du ballon lancé contre un mur pendant des heures,

Des cavalcades à bicyclette le long du ruisseau,

De la famille canard qui traversait la même rue sans crainte,

Il passait alors trois voitures le matin, trois voitures à midi, trois voitures le soir,

Et des vélos et des piétons et un troupeau et un tracteur,

C’était l’époque où ma sœur peignait, où mon frère m’apprenait à glisser les petits plombs et attacher l’hameçon sur le fil de ma nouvelle canne à pêche,

L’amour était en nous, jamais oublié sur une chaise,

L’amour c’était quelque chose qui rassemblait,

A l’époque, il n’était même pas besoin d’en parler,

C’était pour nous comme une grande bassine d’eau fraiche à l’intérieur de laquelle nous lavions nos mains pour les rendre propres,

Nos mains et nos visages aussi, pour les baisers,

Voilà,

Il est temps d’éteindre la lumière, le grand rideau du théâtre est baissé,

Je tire une nouvelle fois la porte derrière moi. Depuis longtemps j’ai perdu la clé.

Mais c’était une époque où il n’y avait pas de clé ni de porte,

Chacun allait vers l’autre sans frapper.

10 septembre,

Deux lieux :

La petite église de mon village.

Le quart de nuit à bord de l’Eldonia Delmas.

Deux lieux pour une seule prière.

A des années de distance, je crois reconnaitre les mots de la prière, pas tous, quelques-uns arrachés à l’ombre. Ils me nourrissent encore.

Mais n’ai-je jamais cessé de vivre dans deux lieux rassemblés,

La petite église de mon village et sur le pont d’un navire.

11 septembre,

Journée anniversaire… .

A prendre les nouvelles du monde, ne sommes-nous pas confrontés à la crucifixion au quotidien. Rien ne sert d’attendre que le Christ revienne. Il est là, un peu plus crucifié chaque jour. Quand cesserons-nous de faire semblant de le chercher. A côté de nous, il suffirait de tendre la main pour lui ôter les clous qui l’immobilisent et le font souffrir.

Aussi tendre la main à ceux qui ne sont pas Christ mais femmes et hommes en majesté.

Pourtant nos regards se portent à l’opposé, cherchent très loin Dieu qui se trouve à proximité.

Apprendre à vivre à portée de mains, se remplir du bonheur d’assister au lever et au coucher du soleil, ne considérer qu’un seul chemin de la naissance à la mort, sans prendre le chemin de croix car il n’existerait pas.

12 septembre.

Premier concert depuis presque deux ans. Auditorium de Radio France.

Séduis par deux œuvres que je ne connaissais pas, Les Offrandes oubliées d’Olivier Messiaen et Mystère de l’instant d’Henri Dutilleux.

Je retiendrai tout particulièrement la troisième partie de l’œuvre de Messiaen, intitulée « L’Eucharistie ». La beauté des cordes du National est à la fois radieuse par son étendue lyrique et éblouissante par sa précision et la limpidité cristalline des violons.

Le compositeur écrivait à propos de ce mouvement : «Phrase longue et lente des violons, qui s’élève sur un tapis d’accords pianissimo, avec des nuages, des ors, des bleus (comme un lointain vitrail), dans la lumière des cordes solistes en sourdine. ».

Le concerto pour violon et orchestre n°3  de Camille Saint-Saëns, je le trouve ennuyeux. L’exécution de l’orchestre non plus que celle du soliste Daniel Lozakovich, ne sont en cause. Je ne réussis pas tout simplement à entrer dans ce concerto que je trouve heurté, au lyrisme convenu. A réécouter sans doute, comme toute expérience auditive négative, il est nécessaire de recommencer.

Le concert s’est achevé par Daphnis et Chloé, suite n°2 de Maurice Ravel, une des œuvres importantes du répertoire de la musique française. Trouver quelques mots pour la définir: magie, onirisme, éternel printemps, séisme des cordes et des cuivres et si souvent chez le compositeur, la représentation sonore d’une marée qui monte et descend puis l’estran lumineux qui apparait une fois les luttes sonores apaisées.

13 septembre,  Seiano.

Depuis hier je reprends les chemins que j’avais délaissés depuis la Covid 19 et les incidents variés auxquels mes jambes ont été confrontés depuis juin.

Septembre à Seiano est un mois privilégié comme le sont mai et juin. Certes le napolitain est bruyant, mais en juillet et aout il m’est insupportable. C’est pourquoi nous avons décidé de privilégier le hors saison, les mécaniques sonores sont débranchées, les hurlements, cris et autres chants sont devenus aphones, ne reste vers dix-huit heure que les trilles sonores du merle, le ronflement doux de la mer qui épouse le bas de la falaise et par ci par là des moteurs de bateaux, un camion qui s’essouffle en haut de la côte après avoir traversé le village. Il faudrait aussi saluer les mouettes qui se posent au sommet des parasols fermés, le bar de la plage où circule une musique jazzy et douce, percutée par le bruit des glaçons dans un verre ou le percolateur de la machine à café qui nous prépare un petit café de rêve, onctueux comme une coulée de lave, une larme d’amertume qui disparait toujours trop rapidement dans le gosier. « Un altro caffé, per piacere ! ».

Assis à la terrasse du bar, face au Vésuve à l’opposé de la baie, je prends mon carnet à dessins que j’avais retrouvé juste avant le départ. Je n’ai jamais su dessiner mais c’est un plaisir instinctif, la main droite animée d’un feutre noir, je souille la page blanche de traits et d’arrondis, sans aucune notion de perspective, je trace des paysages et des silhouettes, des objets et des architectures immobiles. Incapable de représenter le mouvement, je me cantonne dans des formes inanimées. Je dessine comme je m’encapuchonne, j’écris comme je m’encapuchonne, j’écoute la musique comme je m’encapuchonne, toujours dans une forme d’isolement proche de l’introspection mais ne l’est pas, davantage une plongée silencieuse dans la vie merveilleuse et la découverte renouvelée.

14 septembre.

Les lecteurs apprécient les histoires longues qui prennent la forme d’un roman. Ou bien ils lisent les œuvres complètes de Georges Simenon ou de Stephan King, romans qui s’enchainent à la suite les uns des autres.

Le récit court, le journal, décoctions plus ou moins tragiques de la brièveté de la vie, retiennent rarement l’intérêt du lecteur. Un roman doit être un plat cuisiné par un grand chef, le récit sans cesse recommencé d’une histoire où se mêlent les souvenirs de la grand-mère, les goûts d’autrefois, autant d’ingrédients rassemblés amoureusement, récits aventureux et poétiques qui racontent la cueillette de l’herbe rare, l’élevage artisanal du bœuf dans une ambiance musicale et gestes créatifs qui consistent à assembler dans la même assiette des produits que la nature n’aurait jamais fait se rencontrer. Le vin appartient aussi à ces longues histoires où la vérité côtoie l’imaginaire, la création et la célébration orgiaque.

Je n’ai pas le talent des formes longues, tout au plus je m’invite dans des récits courts. Je ne suis pas créateur de rebondissements et tiens rarement mon lecteur en haleine. J’écris comme tracer un trait mince et asthmatique sur une feuille blanche. Pour la beauté du trait, la recherche du rythme, en écoutant sans me lasser le métronome du temps, je pique, je croche, je couds la durée d’un soupir, la partition d’un sourire en me tenant à l’écart des filets qui vous retiennent longtemps. Si je suis écrivain de l’instant, du récit inachevé, c’est parce que les parfums de la vie sont si nombreux, la beauté présente trop souvent dissimulée, que je ne prends pas le temps de m’arrêter longuement dans une posture méditative qui fait de la vie un long roman.

15 septembre.

Café-bar Fauno sur la grande place de Sorrento.

Quatre autour de la table, deux couples, depuis plus d’une heure, resterons encore une heure supplémentaire peut-être deux. Nous serons partis avant. M’étonne, rester aussi longtemps assis à la terrasse du café Fauno, à regarder les autres. Ils ont tourné la tête vers nous, nous les avons dévisagé. Occupons la table à côté, ne pouvons pas ne pas les voir, eux et leurs tasses à café qu’ils tournent d’une main, vides, en prendrai bien un autre mais faut pas exagérer, bientôt ou peut-être déjà dépassé, soixante-dix ans, faire attention au cœur. Ca aiderait pourtant à poursuivre la conversation sur rien, enfin presque rien, le pas grand-chose de la vie en cours d’achèvement. Impression de répéter les mêmes mots sur le temps, l’habillement, la recette de pâtes. Elle, tire de son sac à main un téléphone portable dans une coque dorée puis une cigarette. Des bagues dorées comme des petits escaliers sur les doigts, pourtant le téléphone n’a pas sonné mais regarder l’écran, manière de continuer la conversation en prenant un air interrogateur, le regard posé sur l’écran vide. Les messages, elle les a lu déjà cent fois. Lui, le ventre en forme de bulle, n’est plus dans le prolongement du corps, simplement posé là, au-dessus de la ceinture, questionne mais sans écouter la réponse, il l’a connait déjà : « Tu as reçu un message ? », puis tourne sa tête vers moi peut-être avec un air de reproche, comme si j’écoutais aux portes. Se caresse les deux cuisses, mâchonne quelque chose d’invisible, une vieille sucette ? Les deux autres observent la femme allumer sa cigarette avec un briquet doré qu’elle range ensuite avec précaution à l’intérieur du sac à mains qui ne contient plus aucun secret. Je vois ses ongles rouges disparaitre, manucurés. Tâches de sang, pétales de coquelicots évadés dans le monde de l’ennui, auraient mieux fait de rester sur leur tige, se laisser caresser par le vent plutôt que d’être là, collés sur les ongles de la main d’une femme qui tire sur un bout de cigarette coincé entre deux lèvres saignantes. Le rouge partout, l’ennui rouge sang pour habiller les paroles évasives sur le temps, l’habillement, la recette de pâtes. En revanche rien n’est dit sur la mort. Y a rien à dire sur la mort. Rien, se courber seulement en se disant qu’on aura peut-être une nouvelle fois la chance de s’asseoir à la terrasse du café-bar Fauno, au bord de la grand place de Sorrento. Passer une après-midi, vivre ainsi à observer les passants qui se déplacent comme s’ils étaient sur l’eau, comme des petits bateaux.

« Tu as vu, Giovanni, le vent est tombé. ».

0 réponses

Laisser un commentaire

Participez-vous à la discussion?
N'hésitez pas à contribuer!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *