T 27
« En mes escris mesmes, je ne retrouve pas toujours l’air de ma première imagination : je ne sçay ce que j’ay voulu dire et m’eschaudé souvent à corriger et y mettre un nouveau sens, pour avoir perdu le premier qui valloit mieux. » Montaigne, Les Essais.
Nous traversons des plaines et des vallées, montons en douceur des mamelons avant que les courbes de dénivelés ne se resserrent. La progression devient difficile. A peine atteint le sommet, il nous faut redescendre jusqu’au niveau de la mer. C’est ainsi que se présente la géographie des petits territoires et qu’importe le sens dans lequel nous les parcourons.
Un jour nous décidons de regarder en arrière, de contempler le chemin parcouru et de nous demander : pourquoi si loin, pourquoi ces circonvolutions. N’aurait-il pas été souhaitable de ne pas nous éloigner de l’endroit où l’imagination a tissé ses premières toiles ?
Ecrire illustre l’éloignement progressif de la première idée.
L’illusion nous fait croire qu’on maintient notre cheval au pas alors qu’insensiblement le rythme change, sans savoir comment, nous nous surprenons à galoper sur la page blanche. Les mots, les phrases, les paragraphes s’enchainent et nous séparent de l’imagination d’origine. « En mes escris mesmes, je ne retrouve pas toujours l’air de ma première imagination : je ne sçay ce que j’ay voulu dire … »
Pour ne pas risquer de perdre le fil dévidé trop rapidement, il faut l’enrouler en sens inverse pour retrouver l’esprit et la force qui se dissimulent dans la pelote. Couper, effacer, rattacher, nouer et dénouer, en un mot maitriser.
« …et m’eschaudé souvent à corriger et y mettre un nouveau sens, pour avoir perdu le premier qui valloit mieux. » Montaigne, Les Essais.
Les territoires ne sont pas des amoncellements de pierres jetées en vrac dans un quelconque entonnoir de la pensée et de l’imagination. Ils nécessitent d’être inventoriés sur la page blanche afin de les traverser avec application.
Laisser un commentaire
Participez-vous à la discussion?N'hésitez pas à contribuer!