16 octobre.

Salon de la Revue à Paris.

Ruche à l’intérieur de laquelle les passionnés, comme des abeilles, échangent, s’interpellent, se congratulent, se désolent. Jamais assez de clients, les gens sont ignorants, toujours se sacrifier pour maintenir la revue à flot.

Les revues Universitaires ronronnent dans l’entre-soi.

Les revues de Poésie, étonnant le nombre de revues de poésie, pour chaque numéro le responsable ou le comité de lecture s’enorgueillit d’avoir découvert la plume rare, celle tenue par un auteur inconnu qui fera date.

La revue de la Nouvelle cherche avec courage à défendre un genre qui se vend mal. Ah, les romans, toujours les romans, de préférence qui n’en finissent pas, c’est tellement mieux plutôt que ces histoires avortées, sans suite, toussotantes et trébuchantes, écrites par un auteur pressé ou asthmatique.

Les revues de Philosophie sont achalandées comme des petits fruits pas mûrs car il faut du temps pour comprendre, du temps pour posséder la science de la conversation philosophique. Qu’importe si cela se vend mal, il faut tenir car la revue est au service de l’intelligence et pas de son lecteur.

Puis les autres revues à thème, par exemple sur un auteur célèbre que quelques élus s’efforcent de maintenir dans l’actualité. S’ils n’y réussissent pas, c’est que les gens sont devenus sourds, aveugles et pourquoi pas incapables et IGNORANTS !, mon brave Monsieur. Alors autant nous suffire à nous-mêmes et nous aussi rester entre nous.

Les nouvelles revues sur les jardins, l’écologie, la mer, la terre, le dessin, la photo et le cinéma.

Les revues qui ne font que dix pages, joliment décorées avec de belles couleurs. Des revues ça ? Peut-être pas, plutôt des objets.

La revue spécialisée dans le « je », le journal intime, l’apocalypse, le trait d’humour et les insectes.

Toutes ces revues nourrissent notre désir de connaissance, notre recherche du plaisir de la lecture tout simplement. C’est un peu la brigade légère dans la culture à proximité des armés lourdes que sont les maisons d’édition.

19 octobre.

« Tu prends quoi comme entrée ?! »

« Comme tu veux, de toute façon c’est toujours toi qui commande. »

« Je ne sais pas, un avocat ? ».

« Si tu veux un avocat, prends un avocat… ».

« Ce sera un avocat et rien d’autre. »  dit-elle sur un ton de balais brosse au marchand de fruits et légumes qui en a vu d’autres.

« Je suis embêté, je n’ai pas travaillé mon violoncelle hier. Promis, aujourd’hui je m’y mets. ».

« Un kilo de pommes de terre nouvelles, s’il vous plait, jeune homme. »

« Comme vous voulez, c’est vous qui décider, Monsieur. Moi, je fais exactement ce que vous me demandez. ».

« Je vois que vous vous accrochez au violoncelle. ».

« Evidemment, en plus on a commencé à étudier la Valse triste de Tchaïkovski. Vous connaissez La Valse triste… ».

« Oui bien sûr. J’aime bien Tchaïkovski. »

« Ensuite, qu’est-ce qu’il vous faut. Moi, je ne connais que la Valse triste. ».

« Je prendrai bien un peu de Muscat. »

« Encore une fois, je suis là pour vous servir cher Monsieur. » puis s’adressant à un client qui prend son tour dans la queue. « Ah ! vous voilà ! Alors les répétitions ? »

« C’était hier soir. Pas trop mal. Et vous, vous travaillez un peu ? »

« Oui mais pas hier. Vous connaissez La Valse triste… »

« Et comment, je la connais la Valse triste… »

« Il vous faut autre chose ? »

« Non, ce sera tout. L’addition s’il vous plait. »

« Comme vous le souhaitez, cher Monsieur, je suis là pour vous servir. ».

«  Bonjour Monsieur C, vous allez bien aujourd’hui ? »

« Comme d’habitude, pas mal. »

« C’est bon, vous sautez sur vos jambes maintenant. »

« Tranquille, tranquille. Dites-moi, vous avez ce fromage persillé que vous m’aviez montré la dernière fois. Vous vous rappelez, ce fromage belge… »

« Il est là, le…… Vous verrez, il est excellent. C’est un fromage flamand. »

« Je le connais pas. » dit celui qui se préparait à payer à la caisse.

« Du flamand, Monsieur ! »

« Attention j’ai du sang belge et du sang suisse… »

« Il est difficile à trouver. Ils n’en font qu’une vingtaine par semaine. »

« A un rythme suisse. » dit Monsieur C qui aurait volontiers prolongé la conversation avec le belgo-suisse.

« Attention s’agit pas à Anvers de demander son chemin à un flamand, il vous répondra pas ou en flamand. » continue sur sa lancée Monsieur C qui aurait bien donné une claque dans le dos du belgo-suisse qui ne riait plus du tout.

Une vingtaine de minutes plus tard, il croise dans la rue la dame bouledogue suivie quelques mètres derrière par son mari, tête légèrement inclinée vers le sol. Il tire le kadi.

Elle n’est pas grande, de forme cubique, porte des chaussures rouges sans talon, un blouson en cuir bleue, un pantalon large. Son centre de gravité est bas ce qui donne l’impression qu’elle laboure plus qu’elle ne marche. Son regard de Terminator planté droit devant elle, elle est en pleine jouissance autoritaire.

Lui, un peu plus loin comme tiré par une laisse invisible, porte un joli pullover rose sous une veste en daim. S’il n’avait pas l’air d’un enfant qui vient d’être grondé, il serait assez chic. Quelques beaux restes mais il a compris que depuis longtemps cela ne lui sert plus à rien. Il n’est pas impossible que sous son visage poupard, il se récite les mille et une façons de se débarrasser de l’autre. Combien de fois ne l’a-t-il pas défenestré, enfermé le visage dans un sac plastique, poussé dans l’escalier enfin bon, soyons sérieux, bien heureusement il en est incapable. Alors pour marquer son mécontentement, il grogne et mâchonne la laisse invisible qui le retient mais sans vouloir la trancher. Ce serait tellement compliqué, ensuite.

A un gros carrefour qui permet de s’engager sur deux autoroutes, la voiture devant lui s’arrête alors que la voie est libre. Une dame âgée sort du véhicule et lui fait un grand signe de la main. Elle tient difficilement sur ses deux jambes, s’appuie sur le capot avant de sa voiture. Il comprend qu’il doit intervenir.

Il quitte son véhicule après avoir mis les feux de détresse et s’approche d’elle.

« Monsieur, j’ai un malaise. »

En effet son visage est pâle et ses mains tremblent un peu.

« Je vais vous accompagner jusqu’à votre voiture. Il faut vous assoir et nous allons décider ce qu’il faut faire. Mais ne restez pas debout au milieu de ce trafic. »

« Merci Monsieur. ».

A nouveau assise à la place du conducteur, elle reconnait allez un peu mieux.

« Avoir marcher un peu, prendre l’air, ça m’a fait du bien. C’est la première fois que ça m’arrive. Je reviens d’un enterrement, c’est peut-être pour ça… ».

« Oui sans doute. Vous voulez que j’appelle les pompiers ? »

« Oh peut-être pas. Je vais rentrer doucement et m’arrêter régulièrement, s’il le faut. Je ne vais plus bien loin.».

« Comme vous voulez. Nous allons dans la même direction. Je vous surveille. »

« Merci beaucoup Monsieur, merci ! ».

La vieille dame est repartie. Rapidement il l’a perd de vue.

20 octobre.

Elle arrive la dernière mais n’est pas en retard. Il l’embrasse sur les deux joux, cela fait si longtemps. A table ils sont trois et la discussion démarre immédiatement. Elle raconte sa démission puis son nouveau job qui commencera en novembre à Genève. Les difficultés de trouver un logement du côté d’Annemasse.

Quitter Le Havre pour Genève, c’est un vrai changement mais à priori pour une durée de deux ans. Ensuite, la belle vie. Retourner en Grèce bien sûr, plusieurs fois par an. La Grèce ne l’a jamais quittée depuis qu’elle a commencé à travailler, bientôt quarante ans.

Il parle de lui. Elle pose des questions pour en savoir davantage. Puis vient son tour, il parle de sa nouvelle amie et son désir d’acheter rapidement un logement.

La serveuse est venue trois fois demander s’ils avaient fait leur choix. La quatrième fois était la bonne mais il y avait tant de choses à se dire. Le métier qu’ils avaient en commun et tous ces projets de déménagements, les amis ou partenaires d’avant, ceux actuellement qui se prennent pour des ténors du marché et puis les disparus sans laisser d’adresse, enlevés par la limite d’âge.

Encore deux ans, dit-elle à nouveau. Moi, encore trente dit le second et l’autre d’ajouter, pour moi encore rien. C’est fini, je profite. Elle lui dit que pour un vieillard, il ne se porte pas si mal. Il ne refuse pas le compliment. Demain matin je recommence à courir après quatre mois d’interruption à cause de ma jambe.

Elle et le plus jeune prennent un poisson, lui préfère la bavette saignante.

Tous les trois achèvent le repas avec une île flottante mais ne prennent ni café ni infusion.

Vers 22h30 ils se quittent, pas trop tard, elle a deux heures de voiture pour rentrer chez elle.

« La prochaine fois, vous viendrez me voir à la montagne. »

La prochaine fois, quelque fois ce n’est pas qu’une formalité.

21 octobre.

Nuit de tempête, particulièrement forte en Normandie.

Texto :

Je m’inquiète de savoir si tu es bien rentrée. Tu as du traverser la tempête. Merci encore d’être venue jusqu’à nous.

Réponse :

Coucou, oui je suis bien rentrée. C’est très gentil à toi de t’en préoccuper. Encore une belle soirée avec toi et A mais soirée trop courte. A la montagne ou à la mer, la prochaine fois !

28 octobre, Magouric.

« La ligne claire », c’est comme cela que je retranscris des scènes de la vie courante sans intérêt particulier. Les 19, 20 et 21 octobre, premiers essais de « ligne claire », tâcher d’éviter le pathos, retranscrire simplement, laisser peser le mot son juste poids, disparaitre derrière le récit pour ne laisser qu’une photographie, un instantané, peu importe l’auteur. Le journal pourrait devenir ce déroulé sans doute ennuyeux pourtant c’est aussi la captation d’un reflet. Le « je » disparait, remplacé par le « il », l’auteur marque la distance entre ce qu’il n’est plus et le message qu’il s’efforce de communiquer. Alors à quoi bon l’emploi du « je » ?

Par exemple ce matin au marché, il s’est arrêté devant le camion du fleuriste. Il a acheté deux pots de chrysanthèmes jaunes. Il trouvait que leur tonalité allait bien avec les tons d’automne, les fougères brunes le long de la côte, les feuilles rouges, jaunes et grillées qui jonchent le sol, les mousses qui sont des petits éclats de verre. Vert, un printemps qui ne finit jamais, qui s’accroche encore à l’automne. Sur le mur en pierre les tâches jaunes seront du plus bel effet, derrière la fenêtre, elles apporteront de la luminosité jusqu’à l’intérieur de la maison. Ces dizaines de cœurs jaunes avant que l’hiver ne détache les dernières feuilles des branches qui se dénudent, avant le regroupement des oiseaux migrateurs, que s’achève le cycle de l’éternel retour.

Il dépose les deux pots sur le muret, s’éloigne de quelques mètres et soudain perçoit la musique d’un instrument solitaire, une flûte peut-être car le son ne possède pas la profondeur du hautbois. Oui, c’est bien un son de flûte qui se dégage des chrysanthèmes pour saluer l’automne et la pierre.

Il écoute et ne pénétrera dans la maison qu’à la nuit tombée.

Le lendemain, il ouvrira les volets et les chrysanthèmes interpréteront à nouveau la petite musique de l’automne, elles comptent les jours qui les séparent de l’hiver.

30 octobre.

Enfant, notre destinée est la démesure. Le monde immense nous entoure, à commencer par le bac à sable à l’intérieur duquel il trace des routes sans fin qui se croisent et se décroisent en enjambant des ponts en pierre et des petits ruisseaux improvisés. Cet univers est parfaitement adapté aux voitures miniatures, aux soldats en plastique et aux animaux de la ferme.

Plus tard l’enfant circulera à vélo et ne se souviendra plus du bac à sable. Le monde s’agrandira une nouvelle fois et ne cessera de tresser les maillons de l’immensité lorsque l’adolescence venue il découvrira les routes inconnues au rythme des jeunes filles que nulle saison ne réussit à faner. Le temps ressemblera à l’éternité.

L’enfant devenu jeune homme vivait alors dans un monde à explorer, gravé de haies vives et de vols d’étourneaux, les clôtures n’étaient pas des frontières interdites ni les hameaux ni les rivières encore moins les montagnes qui montaient comme des escaliers vers le soleil.

C’est plus tard que presque tout est devenu un obstacle à franchir, que le combat changea de nature. Il fallut lutter contre l’enfermement, se montrer à hauteur de ses ambitions, franchir des haies et ne pas s’arrêter. Un combat pour lequel nous n’étions pas tous préparés, nombreux y laissèrent leur peau, pour les autres il devenait guère possible de dissimuler plaies et cicatrices avant d’atteindre finalement l’inévitable, le cœur couturé de toute part prêt à négocier quelques jours supplémentaires sans raison précise, possédé par l’habitude de demander toujours un peu plus.

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