5 novembre 2021, Saint-Nom la Bretèche.

L’écrivain quand il écrit, où se trouve-t-il ? Devant son bureau, face à un écran ou penché sur un cahier. Physiquement dans la pièce où il est entré quelques minutes avant de s’asseoir. Peut-être s’est-il préparé un café ou un verre de blanc, cela dépend de l’heure. Il a sans doute commencé à écrire un texte mentalement puis il s’est assis rapidement pour ne pas perdre le fil de sa pensée, une gorgée de café chaud lui sert à borner son territoire pas plus grand que la table.

S’il est bien là en chair et en os, ce n’est qu’en apparence car en fait, l’auteur n’a fait que rentrer puis il est tout de suite sorti. Il est assis à sa table de travail mais il ne s’agit que de sa présence physique celle qui ne compte pas vraiment pour écrire sauf s’il est ramené à la réalité par une vieille douleur.

L’écrivain écrit d’un endroit qu’il est le seul à connaitre, enfin qu’il imagine. Un endroit qui pourrait se situer à des milliers de kilomètres de son bureau ou bien de l’autre côté de la rue, dans le parc du quartier ou dans la cabine d’un bateau. De cet endroit il voit le monde qui l’entoure, il aura toujours une préférence pour se trouver en hauteur, à un étage supérieur de la maison mais rarement dans une cave, plutôt le grenier. Il ne lui est pas nécessaire de pouvoir observer la terre entière, si son regard ne porte que sur un bout de rue, l’angle d’un champ ou les arbres d’une forêt éloignée, cela suffit pour l’inviter à l’extérieur de son bureau.

Il est un être double, son pouvoir d’être ici et ailleurs est le signe incontestable de sa singularité. Si vous entrez dans son bureau, il se tiendra physiquement dans la même pièce que vous mais il vous sera impossible de savoir s’il est là ou pas. Cependant vous constaterez rapidement qu’il ne répond pas à vos questions, il ne les a sans doute pas écoutées. Il aura fait semblant mais n’aura pratiquement rien retenu de ce qui vous intéresse. Se dédoubler n’est déjà pas chose facile, il ne faudrait pas lui demander davantage. Quelque part peu importe ce que vous ressentez, sans doute un sentiment d’abandon. Peu lui importe.

Un auteur qui ne sait pas d’où il écrit, encore une fois il est bon de préciser, de ce lieu virtuel, erre dans un dédale de régions inconnues. Il lui faut du temps et une conscience particulière avant de pouvoir se poser comme un oiseau en fin de course, dans un endroit où il reviendra régulièrement pour écrire.

Je me souviens d’un auteur qui avait écrit un court récit intitulé « La lettre » et qui commençait par : « Je vous écris de ce coin de lumière volé à la nuit qui nous entoure. C’est une niche, un creux tapissé de vieux chiffons avec pour tout mobilier une table et une chaise, un cahier ouvert pour écrire cette lettre que je vais vous envoyer. La lumière vient du dehors par le carreau de l’unique lucarne qui me sépare du monde. ».

Aussi longtemps que l’auteur ou celui qui désire écrire, ne s’approprie pas un emplacement virtuel pour accueillir sa pensée et les produits de son imagination, restera prisonnier de sa chambre ou de son bureau, du cahier ou de l’écran, des murs qui l’entourent et des voix qu’il ne souhaiterait pas entendre au moment précis où il noircit la page blanche : « Le camion sort du virage et s’écrase une centaine de mètres en contrebas. Victor après avoir été touché à l’épaule par le tir de l’individu qui le poursuit depuis deux heures,  était incapable de redresser son véhicule… ».

Silence, il écrit !

Le lieu de l’écriture n’est donc pas un endroit réel, il est inventé par l’auteur. C’est un endroit où il donne rendez-vous aux personnages de ses romans, à ses réflexions les plus diverses, à des collections d’images passées, présentes et à venir. Tout simplement un espace pour accueillir son dédoublement, là où se niche sa métaphore et peut-être un lieu de prière.

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