1er juillet 2022.

Le chat est mort.

Une odeur de cadavre s’est répandue dans le salon. Tout d’abord, nous avons cherché s’il ne se trouvait pas une souris morte dans le panier à l’intérieur duquel j’avais rassemblé des bûches, à droite de la cheminée. Il n’y avait aucun animal mort, ni sous les canapés et les fauteuils. Il fallut chercher l’origine de cette odeur ailleurs. En ouvrant la porte-fenêtre à droite de la cheminée, l’odeur devenait plus intense me laissant penser qu’elle venait de l’extérieur. En effet, en tournant la tête vers le massif adossé au mur, j’ai vu le chat. Un gros matou couché de tout son long contre la grille d’aération de la cheminée. Ceci explique la diffusion de l’effluve nauséabonde qui s’est répandue dans le salon et la salle à manger.

Il ne possédait plus de regard, les yeux avaient disparu sous des pelotes animées d’asticots blancs. A l’exception des pattes recouvertes d’un joli poil blanc et gris, le reste du corps n’était plus qu’une charogne qui n’avait pas encore rendu l’animal méconnaissable.

La terre était bien trop sèche pour creuser un trou pour l’enterrer. Le glisser dans un sac en plastique et le transporter dans la forêt la plus proche, soulevait le cœur rien que d’y penser. Il ne me restait plus que déplacer le cadavre dans un coin obscur du jardin et recouvrir l’animal d’une épaisse couche de terre. C’est ce que je fis. Je glissai la charogne sur une pelle emportant avec moi des centaines d’asticots qui n’appréciaient pas d’être dérangés, puis la déposai dans l’angle du jardin le plus éloigné de la maison.

Le chat est mort. On ne saura jamais pourquoi ni comment. Impossible non plus de connaitre son propriétaire, son corps était bien trop décharné pour l’apporter chez le vétérinaire.

Mais un chat possède-t-il véritablement un propriétaire ?

3 juillet, 2022.

Quand mon père sortait la tête de l’eau, on ne voyait pas ses yeux. Il mouchait bruyamment entre le pouce et l’index, l’eau salée qui obstruait ses narines. Libéré de ce qui le gênait, il posait sur moi son regard de myope en me souriant :

« Elle est bonne, un ! ?»

Ce « un » était à la fois une confirmation et une question.

Puis il s’éloignait sans attendre ma réponse.

J’eusse aimé lui dire combien je la trouvais froide.

5 juillet, 2022.

Je lis et relis ce qu’écrivait Henri Michaux dans Un point c’est tout, extrait de La nuit remue :

« L’homme – son être essentiel – n’est qu’un point. C’est ce seul point que la Mort avale. Il doit donc veiller à ne pas être encerclé. ».

Je crains l’encerclement, prémisse de l’enfermement.

L’homme spirituel réussit sans doute à sortir de ce point, plus exactement à le transformer en tâche. Il atteint alors une autre dimension, celle qui repousse l’encerclement et fait de la Mort un prédateur qui ne saisit pas sa proie si facilement. Elle lui échappe, glisse entre ses griffes, retarde l’instant finale où la tâche sera avalée d’une façon ou d’une autre.

L’homme spirituel ne fait que retarder l’échéance de l’homme point. Mais c’est un beau combat.

Je crains de n’en être absolument pas capable.

6 juillet, 2022.

R……, les machines à écrire.

Je tourne autour de ce projet sans oser me jeter dans le travail d’écriture. Je sais qu’il sera long, qu’il faudra me documenter sur le fonctionnement des moteurs, me familiariser avec le vocabulaire géographique et géologique. Réussir à intégrer dans le texte les photos en noir et blanc des machines mortes prises lors de mes déplacements.

L’histoire est assez précisément construite dans ma tête mais je sens un frein, la crainte peut-être de me lancer. A moins que ce ne soit une grosse période de paresse qui s’impose à moi. Ou peut-être la nécessité de traverser un couloir vide, une sorte de plongée en apnée.

Je ne sais plus très bien mais ce dont je suis certain,  R…. ne cesse de me chatouiller.

8 juillet, 2022.

Alors ce soir je me suis dit que j’allais m’y mettre. Mais je ne sais si je suis victime de la torpeur de l’été, toujours est-il j’ai regardé Los Muertos, un film de l’argentin Lisandro Alonso. Durée 76’. Peut-être 5’ de dialogue en durée cumulée, quasiment un seul acteur. Vargas sort de prison et part à la recherche de sa fille en prenant une barque. Il descend la rivière, s’enfonce dans la jungle pour finalement atteindre son but. Mais sa fille on ne la verra pas, le film s’arrête lorsque Vargas rencontre un enfant qui n’est autre que l’enfant de sa fille qu’il n’avait jamais rencontré.

Deux couleurs dominent, la couleur marron de l’eau de la rivière et le vert des arbres. Les plans sont très longs, tirés les uns à la suite des autres sans se heurter. Le film déroule ses séquences de non-évènement au rythme de l’écoulement de la rivière plutôt un fleuve, les rives sont si éloignées les unes des autres.

Je me suis laissé porter par cette production silencieuse et presque sans histoire. Vargas toujours filmé à distance impose sa présence étrangère au monde. On comprend qu’il avait tué son frère sans en connaitre le mobile. Mais ce n’est pas ce qui importe, ce qui compte c’est l’observation de l’homme seul après des années d’enfermement, plongé dans une nature qui n’est pas hostile, seulement agaçante avec ces dizaines de moustiques et de mouches qui ne cessent de le dévorer. Si sa progression hypnotise, elle n’a rien de très intéressante, aucune passion, aucune crainte ne s’en dégage, au point qu’elle provoquerait un ennui certain.

Mais ce soir ces 76’ suffisent à me sortir de ma nonchalance.

10 juillet, 2022.

Ce matin en ouvrant les yeux j’ai vu des milliards de petits grains de sable courir à la surface du sol. Poussés par des courants d’air contradictoires, ils se trouvaient précipités sur l’immensité plane de mon désert. Je me suis efforcé d’en retenir une poignée mais impossible de garder les yeux ouverts longtemps. Ma peau transparente martelée de petites piqûres d’aiguilles, je respirais avec difficulté. Naturellement mon corps à la fois terrestre et marin avait fermé toutes les écoutilles. Protégé à l’intérieur de moi-même, j’écoutais avec surprise le vent, le roulement sonore des petits grains qui entraient en collision les uns contre les autres en s’excusant presque de ne pas pouvoir suivre une trajectoire précise mais fort mécontents de me trouver sur leur route. Encore un obstacle à franchir, depuis ce temps infini où ils parcouraient le monde à la recherche d’un abri. Enfin je n’ai pas tout retenu, j’ai compris simplement que ce matin en ouvrant les yeux, je gênais la course frénétique des grains de sable les obligeant à trouver une solution pour m’éviter.

11 juillet, 2022.

Sleeping est un tableau de Toyen, exposé au musée d’Art Moderne de Paris dans le cadre d’une exposition temporaire des tableaux de l’artiste.

On voit une jeune femme de dos habillée d’une robe blanche en partie souillée de taches noires. La robe est ouverte sur le vide, elle ne recouvre aucun corps physique. Les cheveux blonds descendent sur les épaules. Son visage est invisible, elle tourne le dos au spectateur. L’ensemble de la silhouette désincarnée ressemble à un abat-jour posé sur la terre. Un filet qui pourrait être un filet à papillon de couleur vert pomme, tonalité assez fortement acidulée, dépasse au bout d’un manche, le côté gauche de son corps. On imagine qu’elle le tient avec ses deux mains. Elle se situe en face d’un paysage séparé en deux horizontalement par la terre qui occupe les deux tiers inférieur du tableau, et comme posé dessus, séparé par une ligne horizontale imprécise, un ciel menaçant rendu par une inclusion de noir dans des bleus sombres d’où émerge une mince clarté à la jonction entre la terre et le ciel.

Le titre donne au tableau une curieuse musicalité, étrangère à un sommeil paisible.

Cette toile je la ressens non comme une vision cauchemardesque ni comme un rêve inaccessible mais plutôt la représentation du vide. Inhabité malgré les efforts de cette jeune fille désincarnée, on dirait en suspension, c’est l’expression d’une émotion édifiée autour de l’attente et de l’espoir. Lequel ? Capturer avec son petit filet, un papillon ou une pensée fugitive qui viendrait des origines du monde, de ce ciel infiniment fermé par l’horizon sur lequel il repose.

Je me souviens des tableaux de Giorgio de Chirico et ses architectures allusives. Réalité et illusion sont étroitement mêlées, je retiens difficilement mon envie de les suivre sans me défaire de notre monde où les racines concrètes qui nous retiennent ne nous interdisent pas de nous illusionner, pour se retrouver ailleurs comme une machine à laquelle manquerait des rouages et des ressorts. Une machine imparfaite qui me ressemblerait.

12 juillet, 2022.

Deux magnifiques journées à vélo autour de la baie de Somme.

Mais il me faut revenir à Toyen et cette exposition. Je n’ai pas été séduit par l’ensemble des œuvres exposées, à l’exception de Sleeping et d’un second qui a pour titre Tous les éléments, 1960.

Proposition « surréaliste », mouvement avec lequel Toyen avait beaucoup d’affinité comme son amitié avec André Breton le laisse penser.

L’ambition de ce tableau ne serait-il pas de représenter « tous les éléments » essentiels à notre vie ?

J’en distinguerai cinq.

D’abord le fond derrière les éléments retenus : une mer grise légèrement bleutée, calme sans être lisse, comme une plaque qui n’atteint pas l’extrémité droite du tableau. Entre les deux bords, la plaque et le tableau, un espace peint en noir. Une mince ligne blanche traverse le tableau de gauche à droite. Ce n’est pas un trait mais plutôt l’esquisse de ce que serait une frontière dessinée sur une carte. Je garde la notion de frontière, elle me parait être un des cinq éléments.

Au premier plan, devant cette nappe maritime, quatre objets.

De bas en haut :

  • Une feuille oblongue de la souplesse d’une plume, de couleur verte et orangée, qui devient presque dorée à une extrémité. Marque de la vie végétative, indissociable de notre vie.
  • Sur la droite un gros œil orange et jaune avec au centre une pupille noire. Ce pourrait être aussi le soleil, une éclipse de lune au centre. Notre regard transformé en soleil ou bien notre vision qui nous consume. Une vision ardente.
  • En contact avec l’astre solaire ou l’œil en flamme, la queue et les ailes d’un oiseau dont on ne voit que la partie inférieure du corps. Sans doute un faisan mort pour nous rappeler la légèreté interrompue du vol, le quatrième élément.
  • Enfin ce qui ressemble à une coquille d’huitre, noire comme une pierre qu’on aurait vidée de sa substance. Un tombeau ouvert et abandonné par son hôte, une pierre ouverte à la surface de l’eau qui flotterait comme une barque sans occupant. L’image éternelle de nos déplacements, sans direction, notre vide sans boussole.

13 juillet, 2022.

Afin de récolter des fonds pour financer le monument dédié à Beethoven qui sera érigé à Bonn sa ville natale, Liszt donne de nombreux récitals. Un concert tout particulièrement m’entraine dans une sorte de vertige de mélomane : Franz Liszt au piano interprète le Concerto « Empereur », l’orchestre est sous la direction d’Hector Berlioz. Cela se passait à Paris.

Il n’est pas certain que cela fut une grande interprétation. Il arrive que rassembler au sein d’un même orchestre des individualités aussi géniales, elles éprouvent des difficultés à jouer ensemble. Les personnalités se gênent sans le vouloir, les qualités artistiques de l’un venant bousculer celles de l’autre. Certains concerts ou enregistrements font davantage une belle affiche qu’une interprétation réussie.

Néanmoins il existe des programmations qui ne se refusent pas.

14 juillet,2022.

Nombreux sont les livres dont je me suis séparé pour faire de la place. Mais de quelle place s’agit-il ? Donner de la mesure au vide, faire en sorte qu’il s’inscrive dans un espace clos de façon à l’occuper plus tard, avec d’autres livres ou un meuble peut-être. Comme des abeilles nous mettons de l’ordre dans nos alvéoles, ce qui signifie aussi nettoyer. Il se trouve ainsi à l’intérieur de soi des parties obscures qui nécessitent d’être vidées, désinfectées. Avec le temps il serait normal de se « javéliser » afin d’écarter le virus, l’infection graduée provoquée par les années qui s’accumulent pour finalement s’appesantir les unes sur les autres.

Alors il faut apprendre à nous dessaisir au risque de ne ressembler qu’à un sou neuf débarrassé de toute valeur. Pas même celle d’un sou.

15 juillet, 2022.

Hier j’ai aimé Mathilde. Avant-hier j’ai aimé Myriam. Il y a plus longtemps, j’avais aimé Cendrine, Julie, Cosette et Réglisse. Demain j’aimerai Cerise.

Et aujourd’hui ?

Te voilà bien indiscret, ai-je répondu.

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