3. Le fil à pêche.
Le fil à pêche est le gardien de mon enfance. Sa transparence était à l’image de ma jovialité bien qu’il ait été le premier à me donner du fil à retordre. J’abordais alors un univers compliqué qui m’obligeait à apprendre. Mais je ne pouvais le faire seul. Si je n’avais pas eu mon frère ainé pour me guider, ce fil resterait en mémoire comme un mauvais souvenir.
Mais c’est tout le contraire, mon enfance percluse d’instabilité et de crainte n’aurait pu se hisser à un niveau où le bonheur n’est pas absent, s’il n’y avait eu les manipulations du fil à pêche. Comprendre que le fil à pêche ne se suffit pas à lui-même, c’est se trouver rapidement confrontés à des problèmes d’ordre technique.
Il doit être choisi en fonction de la pêche que vous souhaitez pratiquer. Pour ce qui nous concernait, le choix était simple. Pêcheur d’eau douce, nous passions nos journées à patauger dans le ruisseau ou tenter de le remonter jusqu’à sa source en empruntant ses rives accidentées. On y trouvait alors des vairons, des loches, des goujons, des épinoches, des truites, parfois un brochet qui remontait le courant puis plus tardivement, des poissons-chats, espèce invasive qui a provoqué beaucoup de dégâts dans le milieu aquatique. Toutes les espèces ne s’attrapaient pas avec une canne à pêche et son fil attaché au bout du scion. Les butins les plus recherchés étaient les vairons, les goujons et les truites.
Notre fil à pêche était un fil en nylon qui servait à monter la ligne. Son épaisseur était choisie en fonction de la taille et de la force du poisson que nous espérions attraper. La truite arc en ciel et plus rarement la truite fario nous obligeaient à choisir un fil d’un plus gros diamètre que pour les vairons et les ablettes. D’un seul coup de queue, la truite était capable de sectionner le fil. Nous passions ainsi d’un nylon de 8/100° pour les plus petits au 12/100° pour les plus gros poissons.
Nous glissions sur le fil le flotteur, qu’on appelait communément le bouchon, acheté au magasin de pêche. Le plus souvent rouge, jaune et noir, le flotteur en liège captait notre regard à la surface de l’eau dans l’attente qu’il s’enfonce d’un seul coup dans les profondeurs aquatiques, signe qu’une grosse prise mystérieuse avait mordu à l’hameçon. Il fallait ensuite glisser sur le fil, les petits plombs de forme ronde ou ovoïde qui servaient à équilibrer le bouchon. La plombée s’organisait en fonction du poids du bouchon et de la profondeur de l’eau. Il nous fallait le plus souvent glisser sur le fil deux ou trois petits plombs que mon frère serrait avec une pince de façon qu’ils restent en place. Il n’était guère nécessaire de plomber au-delà de 0,40 gramme pour une profondeur d’eau d’un mètre cinquante.
Je vous avais prévenu, le montage du fil à pêche est une opération qui nécessite de posséder de l’expérience, de la patience et un peu d’imagination en prévision des endroits où il nous faudra jeter la ligne. Le plus difficile est à venir, le choix et l’assemblage de l’hameçon.
Le choix de l’hameçon se fait aussi en fonction de la taille des poissons qui peuplent notre ruisseau. Les numéros 20 et 22 étaient adaptés aux vairons, goujons et autre poissons de corpulence similaire. Alors que pour la truite, il était préférable d’équiper notre ligne avec du 16 ou du 18.
La difficulté extrême pour moi qui n’était guère patient et naturellement malhabile de mes doigts, consistait à monter l’hameçon sur la ligne. Sans l’assistance de mon frère ainé, je n’y serais jamais arrivé. Enrouler le fil de nylon autour de la hampe, le glisser jusqu’à la partie inférieure de la palette et le nouer de telle sorte que l’hameçon ne se détache pas de la ligne. Surtout ne pas faire un nœud trop gros qui risquerait d’apeurer le poisson.
Voici donc décrit en quelques lignes le montage d’une ligne, l’importance du fil à pêche pour l’enfant que j’étais. Je n’évoquerai pas la recherche des petits vers dans le fumier de la ferme, la torture infligée aux mêmes lorsqu’il fallait les glisser sur l’hameçon de façon à dissimuler la pointe et l’ardillon puis les déconvenues nombreuses rythmées par le fil qui casse, qui s’emmêle, la ligne brisée, perdue dans le fond de la rivière sans oublier la joie immédiate, de nature à marquer l’enfance que les adultes qualifient d’innocente. L’est-elle vraiment ? Peut-être car c’est un bonheur en dehors du temps, comme si l’horloge n’avait pas encore entamé son rythme infernal ponctué de la sonnerie des heures.
Rien alors n’avait d’importance que ma gourmandise et mes petites douleurs.
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