8 aout 2022, Saint-Nom la Bretèche.
- Excusez-moi de vous poser cette question indiscrète, mais votre jambe malade vous la possédez depuis quand ?
- Je suis certain que c’est la plus ancienne. Je me la suis procurée il y a une vingtaine d’années chez un artisan dans le Bourbonnais.
- Ah, c’est donc une jambe bourbonnaise. Je comprends mieux. Elle est si différente de l’autre.
- En effet mais l’autre est plus récente. C’est une jambe achetée à Naples non sans difficulté d’ailleurs. L’artisan croulait sous les commandes. A l’époque la jambe napolitaine était très demandée…
- Oui, je m’en souviens. C’était un phénomène de mode. Tout le monde souhaitait exhiber une jambe napolitaine. Evidemment à côté de votre bourbonnaise…
- Ne soyez-pas cruelle, la bourbonnaise a son charme. Son aspect rugueux, taillé à la hache, la qualité de ses jointures fait que c’est avant tout une jambe conçue pour être pratique, pour résister aux chocs et à l’humidité. C’est vrai qu’avec le temps, elle a perdu de sa souplesse. J’observe que par endroits, elle commence à rouiller. C’est pourquoi je ne suis pas surpris de subir des tendinites à répétition. Qu’en pensez-vous ?
- Assurément il faudrait en changer. Vous ne voulez pas reprendre une napolitaine, car ces jambes bourbonnaises ne se fabriquent pratiquement plus.
- A moins d’en trouver une d’occasion…
- Je ne vous le conseille pas. On ne sait jamais ce qu’un individu a fait avec sa jambe. Aujourd’hui toutes les jambes neuves, quel que soit leur origine, ont un carnet d’entretien. Avant ce n’était pas le cas, alors il est difficile de s’assurer de la qualité des roulements. Je vous donne un exemple, à la suite d’une chute ou d’un accident, la jambe a pu être tordue et légèrement sortie de son axe. Les rebouteux sont des gens malins pour dissimuler la gravité d’un préjudice subi. Vous n’y verrez que du feu mais au bout d’un certain temps, vous allez perdre des vis, vous commencerez à claudiquer et tout le monde le remarquera.
- Oui, en effet cela me semble risqué et puis s’il faut en racheter une neuve peu de temps après, je dépenserai plus d’argent que l’achat d’une nouvelle.
- Voilà, c’est pourquoi je vous invite à ne pas faire d’économie sur une jambe. D’autant plus que le nombre de modèles disponibles sur le marché est plus important qu’à l’époque de votre jambe bourbonnaise. Tous les pays ou presque fabriquent des jambes, des gauches, des droites, des courtes et des longues. Enfin, il suffit de regarder les offres.
- Je voudrais bien éviter la faute de goût, faire en sorte que ma nouvelle jambe s’harmonise avec la napolitaine.
- Il serait temps car la bourbonnaise avec la napolitaine, ce n’est pas du plus grand chic.
- Cessez de critiquer ma jambe bourbonnaise, certes elle a fait son temps mais elle m’a rendu de nombreux services…
- D’accord, ne vous énervez pas. Je n’ai rien contre les bourbonnaises. Voyons ce qui pourrait convenir à une napolitaine. Avez-vous une préférence pour le style Arlequin, Polichinelle ou pourquoi pas Pantalon ?
- Pourquoi ne pas voyager un peu, quittons Naples et sa Comédie. Par exemple dans l’opéra italien, les jambes sont fort belles.
- Enfin pas toutes, celles de Rigoletto par exemple…
- Non je pense davantage aux jambes féminines. J’en connais de nombreuses qui pourraient être associées avec beaucoup d’élégance à la napolitaine. Par exemple, celles qui me viennent immédiatement à l’esprit, sont les jambes de Violetta dans Le Trouvère, Rosine bien sûr dans le Barbier de Séville et celles qui me procurent le plus d’émotion, sont incontestablement les jambes de Gilda dans Rigoletto.
- Je m’attendais de votre part à un choix de jambes masculines. Ne pensez-vous pas que vos désirs ne correspondent pas à l’homme que vous êtes. Vous risquez de vous trouver confronté à de nombreuses moqueries.
- Vous avez sans doute raison. Bien sûr la jambe de Don Juan me donnerait un avantage certain. Mes conquêtes seraient plus faciles.
- Ce n’est pas un bon choix, ses aventures se sont mal terminées. La jambe du Trouvère conviendrait parfaitement, il me semble.
- Allons pour une jambe de Trouvère. Il faut prendre une décision, je n’ai pas que ça à faire.
- Cher Monsieur, vous n’allez pas rester sur une jambe. Prenons rendez-vous pour la pose.
13 aout, Magouric.
Je ne possède plus de cartes de visite car je ne suis plus en visite et ce qui est plus considérable, je ne suis plus à visiter. Ici comme ailleurs, je suis à demeure et ne me présente plus. Je suis moi, partout et nulle part. Sans carte, car désormais j’existe.
14 aout, Magouric.
L’oiseau ne se souvient pas du nid abandonné, alors que nous habitons toujours nos maisons d’autrefois.
15 aout, Magouric.
Aujourd’hui je me suis fait une nouvelle amie. Elle se prénomme Hyacinthe. Quant au « je » du roman, je ne lui ai pas encore trouvé de prénom. C’est ainsi, écrire permet de choisir ses héros, de les nommer et de les tuer sans risque, si nécessaire.
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