JANVIER 2020

3 janvier 2020, Saint-Nom la Bretèche.

Je me suis absenté trois jours en décembre pour me rendre à Magouric mais les tempêtes m’ont obligé à écourter mon séjour. Je devais ensuite me rendre à Londres, les billets de train étaient pris mais une fièvre désagréable m’a obligé à rester tranquille.
Pour d’autres raisons personnelles et familiales, l’année s’est terminée sans gaieté réelle mais nous l’avons simulée.
R et moi sommes partis quelques jours à Cracovie pour fêter le Nouvel An. Le 31 décembre nous dinions dans un des restaurants élégant de la ville. La veille nous avions passé la journée à Auschwitz-Birkenau. Il faisait froid ce jour-là, une fine pellicule de neige recouvrait le sol des camps. Je n’ai pas « rien » à dire mais quand « dire » ne suffit pas à exprimer la réalité qu’on ressent, mieux vaut se taire. Ce que j’éprouve est de l’ordre du non dicible, la compréhension ne pouvant remplacer le vécu encore moins l’enfer. Le soir même j’envoyai à des amis cette phrase que je trouvai alors pertinente mais sans doute ne l’est pas vraiment: « Je crois qu’il y a la période après l’écriture et la période après les camps d’extermination. Voilà deux bornes qui marquent l’humanité. Que se passera-t-il après ? Quelle sera la troisième borne ? Et si nous l’avions déjà franchie, internet, réseaux sociaux, intelligence artificielle, disparition de la biodiversité ? Je suis inquiet pour notre avenir sur terre et tout particulièrement pour les enfants du monde. ».
Cracovie est une jolie petite ville. Goethe aurait déclaré qu’il n’y a rien à voir à part la mine de sel de Wieliczka. Sans doute que les villes d’Allemagne possédaient davantage de palais et que l’auteur ne pouvait se sentir impressionné par ceux de Cracovie. Les églises baroques sont nombreuses mais il est vrai que la mine de sel est impressionnante.

4 janvier,

Faire le vide, cela a commencé dès l’enfance. Mode d’emploi : se trouver sur une plage. Remplir son petit seau de sable humide, bien le tasser puis le retourner d’un seul coup sur le sol. Tapoter la partie supérieure du récipient avec la pelle en plastique avant de le soulever doucement. Si tout va bien on obtient deux résultats : un gros pâté de sable et le vide dans le seau.
Après, une fois adulte, faire le vide devient plus compliqué. Ce sera sans doute l’objet d’une autre leçon.

5 janvier.

Nous avons rangé les décorations de Noël. La crèche a retrouvé son carton ainsi que Marie et Joseph, les Rois Mages chargés de cadeaux ont décidé de les représenter l’année prochaine. Le bœuf et l’âne se sont retrouvés avec un petit Jésus égaré au milieu d’une dizaine de petits moutons. Il ne parlait pas, ne souriait pas, gardait les bras le long du corps, repos imposé jusqu’à l’année prochaine. En fermant le couvercle de la boite, je me suis dit qu’il avait encore une année pour accomplir un miracle

6 janvier.

Bernard vient vers moi, les deux mains dans les poches, le visage coupé en deux par un grand sourire. « Dominique il faut que je vous dise ! » « Quoi donc Bernard. Ça semble important. »
« Oui c’est très important.» dit-il en retirant ses deux mains des poches. « Voilà ça y est, je viens d’obtenir la nationalité française. » « Mais c’est une superbe nouvelle ! » « Ah oui c’est une grande nouvelle. » « Tu as donc la double nationalité, béninoise et française ? » « Exactement. » « Tu as l’air heureux… » « Je suis très heureux. Très heureux d’être français. » « Cela a pris combien de temps ? » « Douze mois et deux semaines. » « Ma parole, tu as compté les heures. » « C’est une grande étape. » « Je comprends c’est tellement bien pour toi, pour Anaïs et votre petite fille. Allez, nous allons tous fêter cela ! »

7 janvier.

Les raisons sont variées qui nous invitent à pousser la porte d’une exposition. Simple curiosité, volonté d’apprendre ou plus simplement prolonger l’admiration que nous partageons pour un artiste ou une école artistique. Le plus souvent je retiens guère plus d’une dizaine de toiles ou de photos de la totalité des œuvres exposées. Je les retiens avec l’envie de me les approprier, non pas dans le sens devenir propriétaire de, mais dans le but d’avoir le temps de les contempler dans un espace qui serait le mien.
L’expérience s’est vérifiée avec la collection Alana, chefs-d’œuvre de la peinture italienne exposée au musée Jacquemart-André. Sur l’ensemble des soixante-dix œuvres exposées, toutes d’une perfection et d’un intérêt exceptionnels, sept d’entre elles ont retenu davantage mon attention. Je ne m’arrêterai pas sur les sept mais souhaiterais évoquer trois d’entre elles.

Tout d’abord une « vierge à l’enfant » de Luca della Robbia. Terre cuite et bois peints surmonté de dorure, exécutée vers 1440.
Il m’est difficile, et ce sera le cas pour les œuvres suivantes, de décrire mon impression. Je ne saurais utiliser que des mots simples : douceur, précision des gestes, expression des visages, gestuelle sensuelle de la main de l’enfant qui retient avec sa petite main gauche les plis du voile de Marie alors que la Vierge semble caresser de sa main droite le pied droit de l’enfant.

Une scène de la vie de saint Benoît : le miracle de la fiasque volée attribuée à Bartolomeo di Giovanni, vers 1485. Clarté des plans, rigidité de la structure : carré, rectangle, arche, murs rectilignes.

La troisième œuvre est un « Christ en croix adoré par des saints » attribuée à un collaborateur de Botticelli, Maître des bâtiments gothiques, début des années 1490. La mise en scène m’a fasciné. Le Christ en croix apparait devant un drap noir qui part du sol jusqu’à la limite supérieure du tableau. De chaque côté du drap qui donc n’est pas le fond du tableau mais une partie, deux paysages. A gauche une église sur un sommet rocheux et un arbre sans feuille. A droite de l’herbe et des arbustes sur un mamelon rocheux, des oiseaux dans le ciel. De chaque côté des lointains où se devinent d’autres paysages. Quatre saints sont agenouillés au pied du crucifix alors que Marie-Madeleine, elle aussi agenouillée, entoure de son bras droit la partie inférieure de la croix.
L’utilisation du fond noir qui ne recouvre qu’une partie de la toile ainsi que la blancheur du Christ crucifié accentuent la théâtralisation et la dramaturgie de la scène.

9 janvier.

Nouvelle loi sur les retraites. Grèves. Otages. Chacun défend son pré-carré. Démonstration d’égoïsme et de petitesse. Le concours de la médiocrité est gagné par le Président du syndicat des Pompes Funèbres. « Nous aussi nous exigeons que l’on tienne compte de la pénibilité de nos métiers. Les cercueils sont de plus en plus lourds. Il faut les porter. Nous participons à la tristesse des familles etc… » Mort de rire ! Que celui qui dissimule des lingots d’or dans le cercueil se dénonce !
Je me souviens de l’enterrement de ma mère, le caveau au cimetière était déjà bien rempli. Il fallut pour ces messieurs des Pompes Funèbres se contorsionner un peu pour glisser le cercueil dans l’espace réduit. Un de ces valeureux employés a soufflé à son collègue en laissant glisser la corde : « Putain, ça rentre pas ! ». Mort de rire !
Alors si le poids extravagant des cercueils qui serait à l’origine du supplément de fatigue de nos amis des Pompes Funèbres n’est pas dû aux lingots d’or, il trouverait sans nul doute son origine dans notre gourmandise qui fait de nous des individus obèses. Quoique, le pauvre défunt après une longue maladie n’a souvent plus que la peau sur les os. Néanmoins, avant de passer l’arme à gauche, soyez sympas pour ces braves gens qui nous accompagnent avec charité jusqu’à notre dernière demeure, entamez une grève de la faim. Par-contre je ne recommande pas l’incinération car les entreprises de Pompes funèbres auraient de bonnes raisons pour se mettre en grève.

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