Rue barrée

Je suis en voiture. Devant moi une camionnette municipale, elle transporte sur sa remorque une barrière métallique sur laquelle est accrochée une pancarte de couleur verte. Ecrit en gros caractères : RUE BARREE.

Je reste derrière le véhicule ou plus exactement derrière la pancarte. Ainsi je fais le tour de la ville en poursuivant une RUE BARREE. Le temps passe, depuis combien d’heures suis-je assis dans cette voiture, les deux mains crispées sur le volant. Je poursuis une RUE BARREE avec l’impression de m’y engouffrer. Je crois l’atteindre, bientôt la toucher mais elle n’est jamais immobile. Une rue à gauche puis à droite, elle traverse une place, respecte l’arrêt au feu rouge pourtant il ne m’est pas interdit d’avancer. J’hésite à la doubler mais force est de reconnaitre qu’il est impossible de doubler une RUE BARREE encore moins de sauter par-dessus à saute-mouton. Je prends mon mal en patience, j’essaie de comprendre. J’imagine que si le panneau est sur la remorque de la camionnette au lieu de se trouver en bonne place, à l’endroit précisément où elle interdirait la circulation dans une rue, c’est que quelque part dans la ville il existe une RUE LIBRE. Je me dis qu’à une faible distance, une rue s’est libérée. Peut-être viendra mon tour mais pour le moment je ne peux pas. Je suis obnubilé, hypnotisé par ce panneau qui m’annonce que la rue est barrée alors que c’est faux puisque je roule derrière lui. Il n’est pas impossible que je puisse à mon tour m’évader, emprunter une rue libre avec des autos et des gens qui circulent, une rue qui me permettra d’en atteindre une autre, de tourner quand je le souhaite, de m’arrêter le long du trottoir devant la pâtisserie pour acheter une tartelette aux poires et repartir loin, très loin, jusqu’au bout.
Bientôt la nuit va tomber, heureusement personne ne m’attend. La RUE BARREE poursuit sa progression dans les artères de la ville, désormais le panneau livre son message à chaque fois que le véhicule roule à proximité d’un lampadaire, il clignote.

Moi je suis comme le papillon qui se cogne à la vitre le soir, attiré par la lumière orpheline, analphabète je ne sais pas lire ce qu’est écrit sur la transparence du verre : FENÊTRE FERMEE. Alors c’est bien naturel que je m’efforce jusqu’à l’épuisement de traverser un lieu dont l’accès m’est interdit.

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