T 3

Territoire momentanément fermé. Je le contourne sans m’y arrêté en me promettant de revenir.

T 4

« Je ne me lasse pas de la blessure du livre que je viens de lire. ».

Dominique Fourcade, Magdaléniènnement.

 

Se déplacer de territoire en territoire, n’est-ce pas ouvrir un livre puis un autre. Mais avant de le refermer et de le ranger sur un rayon de la bibliothèque en respectant un classement alphabétique d’auteurs ou bien de l’ajouter à un ordonnancement par thème, il y a ce temps utilisé à la lecture. C’est un temps sans chronomètre, sans rendez-vous, seulement une période de flottement entre celui que nous sommes avant de prendre le livre, celui que nous devenons en le lisant. Car après il n’existe pas véritablement de bornes, une fois le livre refermé, les effets de la lecture ne cessent pas pour autant. Comme un parfum, nous trainons derrière nous, quelque part dans un endroit discret de notre mémoire, une effluve. Mais contrairement à l’arôme savamment inventée par l’utilisation de multiples fleurs, l’alliance d’herbes et de graines, les exhalaisons ingénieuses s’estompent quand vient le soir. Le lendemain matin, il faudra recommencer.

La lecture de certains livres ne s’arrête pas. Vous l’avez lu dans votre enfance ou il y a seulement une quinzaine de jours, il résonne en vous de façon coutumière. Vous ne savez pas à quel point il s’est incorporé dans votre chair, vous ressentez une coupure qui ne cicatrise pas mais n’est pas douloureuse. C’est sans doute cette blessure qu’évoque Dominique Fourcade.

Les livres sont de véritables territoires, même l’auteur n’a pas toujours conscience de la cartographie qu’il dessine. Le lecteur pourrait l’éclairer, l’informer de la position de son territoire, lui dire qu’il se situe davantage au nord qu’au sud, que son relief est plus ou moins chahuté, que c’est une île ou un continent, une montagne ou un lac. Il y a tellement de choses que l’auteur ne sait pas, le lecteur les devine, se trompe souvent mais occupe le nid qu’il n’a pas construit comme le coucou, comme le Bernard l’Hermite, enfin toutes ces créatures qui viennent occuper les habitats qui ne leur appartiennent pas.

Mais certains livres sont des lames effilées, ils blessent sans éveiller de douleur particulière. Ils griffent plus qu’ils ne blessent, pour nous rappeler notre présence sur terre, nous indiquer des chemins à suivre mais sans nous commander. Seulement pour nous informer qu’ils existent, libre à nous de les prendre ou pas. Mais, plus important, libre à nous de construire les nôtres. La lecture d’un livre contribue à notre débroussaillement, à traverser notre territoire sauvage. Chacun sait qu’on ne peut traverser ces zones vierges sans se blesser un peu. Peu importe que d’autres se perdent quand ils n’ont pas pris le temps de lire.

Nous parlons des livres qui ne se referment jamais. C’est une impression personnelle, on ne peut pas faire école de ces livres-là. J’en citerais deux qui me viennent immédiatement en mémoire, sans réfléchir, juste parce qu’ils doivent se trouver à la surface de ma peau comme deux plaques urticantes.

Ce sont Les Essais de Montaigne et Les Confessions de Saint-Augustin, le premier parce qu’il ne referme jamais une porte derrière lui, le second par son évidence spirituelle qui me bouscule et m’ébranle.

Ouvrir un livre puis un autre, se griffer mais se sentir aussi caressé. A la limite de la relation amoureuse. Une blessure amoureuse ?

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