16 mai.

Abordons un sujet plus facile : les spécialités de nos grands-pères.

A ma gauche, le grand-père de R, Alexandre : la tartelette aux fraises.

A ma droite, mon grand-père, Albert : les enluminures de la Bible.

Un point commun : l’application.

Nulle envie de comparer la passion de l’un par rapport à l’autre et n’imaginez pas que sensible à l’art pictural mon choix se porte nécessairement sur la création artistique. A mes yeux la tarte aux fraises est tout aussi respectable que les enluminures avec un avantage certain, la dégustation.

Ces deux hommes appartenaient à des mondes différents.

Alexandre avait quitté son Auvergne natal, le village d’Herment, dès l’âge de quinze ans pour monter à Paris car il n’avait connu que la misère.

Albert, issue d’une famille de notable, propriétaire terrien en Bourbonnais, était ingénieur agronome.

Le premier a travaillé dans les cafés-charbon, est devenu cuisinier puis chef de rang à l’hôtel Meurice avant de monter son restaurant ouvrier, Aux trois Canettes, rue des Canettes à Paris.

Le second a fait une belle carrière en tant qu’ingénieur chimiste chez Bergougnian, devenu Michelin, à Clermont-Ferrand. La guerre de 14-18 et les mauvaises qualités de gestionnaire de son père ont fait qu’il a perdu une partie de la fortune familiale. Il n’avait pu conserver qu’une maison à Saulcet et quelques pieds de vignes.

Voilà pour les présentations.

A l’origine de ma réflexion, c’est l’application dont était capable ces deux hommes. Une application que je qualifierai de « spirituelle ».

J’imagine qu’Alexandre après s’être levé guilleret de bon matin, décide de cuisiner des tartelettes pour faire plaisir à sa petite-fille. Avec la rapidité et le savoir-faire que possèdent les professionnels, il fabrique une pâte sablée d’anthologie devenue la « madeleine de …» R. Elle le regardait si bien faire qu’elle en parle encore aujourd’hui, une cinquantaine d’années plus tard, avec un mélange d’admiration et d’émotion. Après avoir étaler la pâte dans les petits moules, il les enfournait. En fin de cuisson, il appliquait une couche de crème fraiche bien épaisse sur la pâte et piquait quelques fraises rondelettes. Rondelettes, tartelettes, prêtes à déguster !

En plus du plaisir partagé, je retiens le travail méthodique dissimulé derrière une apparence de facilité un peu contrariante pour un cuisinier amateur comme moi. C’est le tempérament de cet homme que j’ai connu à la fin de sa vie qui m’en impose, ainsi que les gestes et sans doute la relation ludique qu’il devait avoir avec les produits, la farine, le beurre, la crème, la fraise et…l’abricot. Car j’oubliai, il étalait sur les fraises de la tartelette, une cuillérée de confiture d’abricots qu’il avait toujours en réserve, fabrication du chef bien évidemment.

La même application des gestes sans nécessairement le partage, je la retrouve chez mon grand-père qui, après une journée de travail, se retirait dans son bureau pour dessiner des lettres et les colorier en marge des textes de la bible ou de son livre de messe. Malheureusement je l’ai connu trop âgé, il avait cessé depuis de nombreuses années d’utiliser une partie de ses heures libres à enluminer des livres sacrés.

Albert possédait de nombreuses passions : lettré, mélomane, pianiste, collectionneur de minéraux. Son journal d’étudiant en agronomie est illustré de ses nombreux dessins à la plume. C’était un homme d’une grande douceur, abimé par la vie après la disparition de ses deux premières épouses pour raison de santé, père de trois filles de son premier mariage.

Incapable de manier un outil, il n’aimait pas le fromage. Deux handicaps quand on vit à la campagne et en Auvergne.

Alexandre et Albert ne partagent pas la même région bien qu’Auvergnats tous les deux. Ils n’ont pas connu le même pays mais il me plait de les avoir réunis en quelques mots.

17 mai.

Dans le Journal, le 11 mars 2021, j’exprimais ma sympathie pour Axel Kahn non sans rappeler un épisode de ma vie où j’avais eu le privilège d’avoir connu son père, Jean Kahn Dessertenne, directeur de l’établissement scolaire dans lequel je me trouvais.

A nouveau nous l’écoutons ce matin à France-Inter. Nous apprenons sa décision de quitter la Présidence de l’Association contre le cancer pour des raisons de santé. Nous comprenons qu’il est proche de la phase terminale d’un cancer contre lequel il se bat depuis un temps certain.

Notre émotion est réelle à l’écoute de ses propos d’une grande humanité comme nous l’avions constaté lors de ses multiples apparitions dans les médias au sujet de la Covid 19. A nouveau il répète ce que lui avait écrit son père avant de se donner la mort : « Sois raisonnable et humain. ». Incontestablement il a vécu sous l’influence positive de ce père, comment ne pas l’avoir été.

Axel Kahn appartient à ces hommes qui avant d’afficher des certitudes, ont longuement réfléchi. «Ne pas parler pour ne rien dire ». Le message qu’il nous délivre est essentiellement fondé sur le sens profond du devoir et la volonté de transmettre. Il privilégie la qualité de la transmission, conscient que celle-ci pourrait s’affaiblir avec le temps mais conscient aussi qu’après la mort, il n’y a rien. Ses propos à défaut de m’indiquer un chemin à suivre, car la direction qui doit être prise est le résultat d’une réflexion et d’un engagement personnel, me frappent par l’importance de sa conviction qu’il n’y a rien après. Certitude qu’il m’arrive de partager le plus souvent si je n’étais assailli par le doute comme une fièvre qui va et vient sans l’effacer de façon définitive.

En communiquant sa profonde humanité, il reconnait trouver dans le Christianisme le fondement d’une valeur incontournable qui devrait diriger nos actions, le sens du devoir envers soi-même et envers les autres. Axel Kahn est un humaniste sans Dieu. C’est avec regret qu’il aurait perdu la foi à l’adolescence mais à mes yeux, c’est pour construire une vie d’homme plus riche et généreuse dans le respect et le développement de ce que lui conseillait son père : « Sois raisonnable et humain. ».

19 mai.

Le jeune élan remonte le lit de la rivière vers des contrées lointaines. Le niveau d’eau après un été trop sec, a diminué considérablement. Il ne s’écoule qu’un mince filet dans un lit de pierres blanchies par la chaleur et de mousses osseuses.

Un peu plus loin sur la grande place du village, des engins de travaux publics creusent le sol en tranchées rectilignes. Le bruit des moteurs, des tôles déplacées, des alertes sonores qui accompagnent la ronde incessante des véhicules est assourdissant. Les voix inhumaines claquent comme des oriflammes dans le vent.

Dans quelques mois les engins laisseront la place vide, entourée d’immeubles rectilignes, conjugaison d’angles droits, de perspectives raides comme des pensées mortes. Sur la place, distribués de façon géométrique, des lampadaires, des bancs et un arbre au milieu visité par quelques moineaux. Tout sera propre, sans aspérité si ce n’est celle provoquée par le béton et le fer. Nul doute qu’un sans-abri viendra s’adosser sur le tronc en tenant un bout de carton : « J’ai faim. Pour manger svp. ». Il sera le seul à témoigner d’une histoire, le seul à s’efforcer de nous communiquer son parcours.

Tout comme le jeune élan qui remonte la rivière vers un pays lointain.

20 mai.

Je ne connaissais pas Giya Kancheli. Je ne sais vraiment pas qui m’a conseillé d’écouter ses œuvres. Je me suis donc procuré un peu au hasard « Themes from the Songbook ». J’avais été attiré par l’interprétation exécutée par trois musiciens seulement. Dino Saluzzi au bandonéon, Gidon Kremer au violon et Andrei Pushkarev au vibraphone. La combinaison de ces trois instruments est inhabituelle, il n’était pas difficile d’attirer ma curiosité auditive.

Ce sont des partitions musicales adaptées pour des films. Une vingtaine de morceaux de courtes durées, le plus long n’excède pas six minutes.

J’ai été séduit par la conversation entre les trois instruments, pas un ne s’exprime plus haut que l’autre. Cela m’a donné l’impression de me situer à proximité de la place d’un village, le soir à la tombée du jour. Ces villages qui bordent la méditerranée, tout particulièrement en Grèce et en Italie, quand les habitants sortent vers dix-neuf heures se promener dans les ruelles pour se retrouver sur la place autour de l’église. Il existe un joli mot italien pour décrire cette activité sociale qu’il ne faut pas prendre à la légère : la passeggiata. C’est l’heure où les habitants se reconnaissent, ils se désignent, s’interpellent, s’évitent. C’est l’heure des courses enfantines libérées dans les rues comme des vols d’étourneaux. Le marchand de glace ne sait plus où donner de la boule, les notables se déplacent comme des tuyaux d’orgue alors que les belles qui jurent de ne jamais se marier, roucoulent à la vue des jeunes premiers qui sautillent en bandes comme des petits loups gominés.

Si je m’étais trouvé au centre du village, la musique de Kancheli m’aurait été inaudible. Non, mieux vaut se trouver en marge pour écouter les soupirs du monde et choisir l’heure crépusculaire, juste avant que les lampes ne s’allument et que la nuit ne se transforme en néon géant. La musique sillonne alors les rues dans un babillage proche du murmure et semble tirer un trait entre la vie diurne et la vie nocturne. L’éloignement est parfois porteur de proximité, c’est ce que je ressens en écoutant avec attention les interprétations du « Songbook. ».

Les rires, les voix, les appels dans le creuset du jour qui se retire, un instant seulement j’imagine que je n’appartiens pas à ce monde, venu d’ailleurs, j’écoute la rumeur et il me semble reconnaitre un jeune homme dans le rassemblement villageois à l’heure de la passeggiata.

21 mai.

« We are not immigrants,  we are refugees ! ».

Ils ont d’abord volontairement quitter leurs pays pour en rejoindre un autre.

Ils ont espéré obtenir le statut de réfugiés, cela leur a été quelques fois accordé.

Leur dérive a abouti à un refuge. Ne sommes-nous pas garants de ce refuge.

Ils ne savaient pas que notre refuge branlait sur ses bases, que certes le danger est moins grand chez nous ainsi que la misère moins redoutable. Ils sont surpris de l’accueil mais reconnaissent volontiers qu’il n’est pas si mauvais mais que c’est difficile. Difficile de quitter le refuge pour trouver un rôle social. Ils voudraient pour la plupart servir à quelque chose et trouver les moyens de fonder une famille.

Nous sommes pétrifiés et n’imaginons pas notre avenir avec eux. La terre soudain devient trop petite, on raisonne en termes de places, d’opportunités, de différences. A dire vrai ils nous encombrent, notre refuge devient trop petit car nous avons pris des habitudes qui est rarement de partager. Nous avons toutes les bonnes raisons de nous opposer à leur venue, ne sont-ils pas des envahisseurs.

Il faudra bien nous rendre à l’évidence et retrousser nos manches. Les hommes ont besoin des hommes, la haine de l’autre ne rassemble qu’un temps. Puis l’autre devient très vite un de nos proches mais la haine ne diminue pas. Quand ils ont goûté au sang, les loups affamés ne font plus la différence entre l’autre d’ailleurs et l’autre de chez soi.

Dieu merci, il y aura toujours des hommes de bonne volonté.

22 mai.

S’abimer dans les mots comme l’avion contre la colline. Le corps même conduit avec sagesse, s’abime dans le temporel, un début suivi d’une fin. S’abimer dans l’abime, forer son texte en traversant la surface trompeuse de la page blanche. Ainsi s’écrivent les testaments et les comptes-rendus de la misère. Pour rien, comme de lancer les dés sans se soucier de la composition des chiffres : une paire, un brelan, un carré d’as ? Le temps a passé, à quoi servirait de considérer les résultats. De toute façon rien n’est véritablement achevé alors qu’importe.

S’abimer dans la phrase tronquée, la déclaration amoureuse inaboutie, l’enfance laissée derrière comme un moteur qui aurait grippé.

L’abime ne possède aucune dimension, c’est ce qu’il faut retenir et bien considérer car c’est peut-être là que se trouve notre liberté, à l’instant précis où s’ouvre la porte de la cage. Commencer la chute ou l’envol sans se soucier de ne pas dépasser le vide comme un enfant s’applique à colorier une figurine sans déborder. S’abimer, parcourir les espaces vides, utiliser les mots pour décrire ce qui nous arrive. Non pas que cela ait une quelconque utilité mais depuis le temps où on s’abime, en fait depuis que tout a commencé, il nous est difficile de rester muet. Le besoin apparait de communiquer seulement pour témoigner d’un peu de vie, de ce peu de rien qu’est la vie.

23 mai.

Comme l’artisan martèle le récipient en cuivre pour lui donner belle allure, nous sommes martelés d’images mais qui ne se voient que de l’intérieur. Sans doute avons-nous été retourné comme un gant, la peau vers l’intérieur, l’âme à l’extérieur. De cette façon à l’envers sur un tour, un artisan supérieur tamponne par petits coups, les images de notre vie. Ainsi nous sommes perforés de millions de petits coups visuels qui racontent le déroulé de notre existence.

Me viennent en mémoire le tapis rouge et rugueux sur les marches d’un escalier, les sols ardoises et à damiers noirs et blancs de la maison d’autrefois, la fontaine et le bras qu’on actionnait pour faire couler de l’eau, la petite lampe posée sur la table de chevet et combien d’autres choses, les plus éloignées dans le temps étant les plus vives dans la mémoire comme si nous découvrions notre vie toujours de la même façon, en traversant les étages inférieurs avant d’atteindre le niveau le plus élevé, celui d’aujourd’hui.

Nous ne cessons de nous déplacer de bas en haut, ce qui reste le plus mystérieux c’est pourquoi il nous est tellement nécessaire de retourner en bas et s’arrêter, incrédule, devant une porte qui ne s’ouvre jamais, la porte de l’oubli. L’enfance est le ré de chaussée de la tour, en dessous le limon et encore plus bas si nous avions la possibilité d’y pénétrer, l’intérieur caverneux du ventre de notre mère. Mais certaines zones ne s’atteignent plus ou pas comme il en est de l’immensément petit et de l’immensément grand. Je les nomme le vide, l’ailleurs, l’au-delà de nos périphéries.

Ce que nous sommes réellement, un livre d’images. Nous tournons les pages au grés de nos envies mais souvent elles se tournent elles-mêmes comme si une personne étrangère lisait sans prévenir, le petit livre que nous sommes. Alors les images reviennent en mémoire, incontrôlables, elles nous surprennent dans notre sommeil ou en plein jour. On dirait qu’une bouche s’ouvre pour libérer des paroles comme l’écriture, soudainement ruisselle sur la page blanche.

25 mai.

Encore ce matin le coucou bat le rappel de nos obligations quotidiennes. L’écho du chant dépasse largement l’endroit où il se trouve, résonnances multiples sous la canopée, personne ne peut ignorer ses recommandations. Commencer la journée avec le chant du coucou, c’est se mettre au garde à vous après s’être habillé comme il se doit en fonction du travail à venir. Se rendre prêt comme un soldat qui va s’engager dans la bataille. Le coucou ou cuculus canorus bien que son nom vernaculaire reste imprécis, est le roi des onomatopées. Capable de claironner toute la journée même la nuit sa valse à deux temps, il n’est pas avare d’instructions et de recommandations. Personne ne sait vraiment si à son niveau, il se doit de rendre compte à une hiérarchie supérieure. Son chant est un rappel troublant de nos obligations, envers qui, envers quoi nul ne le sait.

Il s’est rendu chez son médecin pour un simple problème de réaction allergique cutanée. Comme d’habitude le médecin prend sa tension et écoute son cœur. Le rythme ne bat pas normalement, déclare-t-il.  Je ne peux pas vous laisser quitter mon cabinet comme ça. Vous devez rapidement procéder à un électrocardiogramme. Il appel un ami cardiologue qui va le recevoir. Désolé lui dit-il en le saluant, mais il ne faut pas inquiéter son médecin.

Ce n’est qu’un problème de rythme, se dit-il en se souvenant du coucou matinal. Chacun le sien, le mien fait un peu désordre pense-t-il en poussant la porte du cabinet de cardiologie.

On le met en position, on lui applique les électrodes sur différents endroits de l’abdomen. Le spécialiste écoute, regarde, lit les courbes sinusoïdales qui sortent de l’appareil.

Rien de grave, ce sont des extra systoles difficiles à expliquer. Mais vous savez, il y a ce problème dans les coronaires. Vous allez prendre rendez-vous pour un examen plus poussé.

Il n’est pas inquiet. L’extra systole, c’est son coucou à lui. Depuis des années, elle chante à l’intérieure pour lui rappeler ses devoirs quotidiens.

26 mai.

Au risque de paraitre ridicule, je dois faire un aveu : je parle de plus en plus aux plantes du jardin.

A défaut d’avoir un animal de compagnie, il me plait à planter, élaguer des végétaux quelques fois miniatures ou bien taquins comme les vivaces qui disparaissent en hiver et soudainement dès les premiers jours de printemps, vous disent « Coucou, nous sommes là ! Tu nous avais oublié évidemment. ». Qu’est-ce que vous voulez, abordé de cette façon, il faut bien répondre, faire semblant de n’avoir pensé qu’à elles etc… .

C’est sans doute avec les premières fleurs d’iris que je renouvelle mon dialogue amoureux. Comme chacun sait, le dialogue amoureux débute par l’émerveillement enfin pour ce qui me concerne, cela a toujours fonctionné ainsi. Ensuite se met en place une manière d’exprimer un sentiment nouveau, l’utilisation des mots et la façon de les prononcer est différente que dans la vie courante. Il se crée chaque jour un moment d’exception, une parenthèse ouverte et refermée sur l’être aimé. Non pas pour l’enfermer mais seulement tenter d’isoler un instant précieux. On se projette déjà dans l’avenir et se dire qu’il faudra garder le plus longtemps possible la respiration rare et tellement merveilleuse d’un mot aussi simple que « eau » ou « feuille » car à ce moment précis où nous l’avions prononcé, il prenait une tout autre signification. Dans le dialogue amoureux, l’eau fait beaucoup plus que nous désaltérer, la feuille bien davantage que nous habiller ou nous déshabiller.

Alors dans mon jardin qui n’a rien de particulier, jardin autour d’une maison dans une résidence, je cultive le dialogue amoureux avec les pâquerettes timides, les pivoines prétentieuses, l’hortensia balourd et toutes les plantes aromatiques. Je crois partager une amitié particulière avec la sauge, le persil m’agace car il est imprévisible quant au thym, je ne sais pourquoi il me fait penser au curé de campagne dans un pot, un peu grassouillet et rougeaud. Je parle volontiers au basilic mais nous avons des difficultés à nous comprendre, son aspect Latin lover me désarme un peu. Par-contre j’ai du mal à retenir la sarriette, elle se plait tellement coincée entre le romarin tout en muscle et le céleri nain, qu’elle déborde de partout. Sa floraison n’en finit pas, lieu de rendez-vous de tous les bourdons, je l’invite à davantage de modération mais allez donc vous faire comprendre d’une sarriette. Je l’entends rire à mes propos et m’invite à aller voir ailleurs si son caractère débridé ne me convient pas.

Ma grand-mère paternelle parlait à ses roses. Je me disais alors que c’était sans doute un caprice de vieille dame. Mon père avait une passion pour le monde végétal, ingénieur agronome il ne reniait pas ses prédispositions. Levé tôt le matin, il jardinait avant d’aller travailler dans un autre grand jardin qui s’appelait « Le Jardin familial », ancêtre des pépiniéristes actuels, qui appartenait au groupe Michelin à Clermont-Ferrand. Les moments rares où il m’a semblé entrer dans l’intimité de mon père, c’est quand il parlait des plantes et qu’ensemble nous faisions le tour du jardin. Il se montrait alors pédagogue et patient pour expliquer la taille, la maturation, la pollinisation des fleurs, les traitements à donner, la plantation. Il faisait partager son admiration pour le sapin bleu qu’il avait planté il y a plus de vingt ans. Il m’a appris ce qu’était l’arbre à écus, le saule tortueux, l’arbre à papillons, les poiriers en espalier. Mon père était le Jules Verne des jardins, chaque début de promenade était une exploration, il me racontait les plantes et les arbres comme autant de territoires à découvrir. Encore aujourd’hui il me semble répéter ses paroles quand je m’adresse aux fraisiers remontant ou à un noisetier qui a triste mine.

Quand vient le soir, avant de fermer les volets, je fais un dernier tour pour m’assurer que les plantes sont enfin prêtes à passer la nuit. Mes propos sont le plus souvent inaudibles, emportés par le tumulte des merles qui se chamaillent.

27 mai.

Le chant moralisateur du merle, le soir entre clarté éphémère et nuit querelleuse.

S’abandonner sans plainte ni regret

A la douce lenteur des jours

Chercher dans l’ombre, les secrets

Qui font tourner le manège et le compte à rebours.

Le chant moralisateur du merle, à la fin dernière du cœur qui trébuche.

Se tenir debout sur le pont du navire

Observer dans la profondeur de l’océan

Une étrange étoile qui chavire

Avant que de se perdre dans le labour marin des champs.

Le chant moralisateur du merle, au juste point de rencontre de l’heure émerveillée.

S’avancer lentement vers le puits nourricier des saisons

Pour n’être qu’un printemps parmi tant d’autres

Le tenir serré contre soi alors que durcit le raidillon

Et qu’au-delà, peut-être, approcher l’autre.

Celui que j’imagine

Que j’appelle sans doute

Loin des déserts, des montagnes mais sous la voute

De la nuit étoilée et de ses ravines.

Le chant moralisateur du merle

Le soir entre clarté éphémère

Et nuit querelleuse.

28 mai.

Le jour est puissant comme une hache. La cognée s’abat. Fragile, le corps éclate en mille parchemins d’écorce. Le temps prend la mesure de ce qui n’est plus. Il tient un inventaire précis et parfois documenté de la vie à hauteur d’homme, sans bavure, à sa juste mesure.

J’avance sans crainte dans le sous-bassement de l’été. Encore un peu de patience et bientôt je serai défiguré. Sans histoire car sans passé, j’abandonnerai mes désirs et ma fugacité devant la porte toujours fermée.

29 mai.

La fleur d’iris en s’ouvrant, annonce un miracle à venir.

Je n’aimerais pas tout de suite mourir un peu, plus tard complètement sans doute.

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