T 13

« Les moments que l’esprit parait avoir derrière soi, il les possède encore dans sa profondeur présente. »

Hegel.

Je me souviens de la boîte à musique qu’un forain remonte, dissimulé à l’intérieur un rouleau cranté et des petites lames métalliques souples. Qui sait comment sont distribués à la surface du rouleau les dents qui libéreront les notes musicales, les unes à la suite des autres pour que de la boite surgisse une chanson… « Quand on a que l’amour…».

Mais vivre est autre chose que la répétition. Bien incapable de donner une définition au mot « vivre », je ne peux que m’engager dans une réflexion où le doute tiendrait toute la place et de reprendre une nouvelle fois la métaphore du marcheur. Devant lui les images du passé, les souvenirs s’écoulent comme une rivière qui n’aurait pas de source ou bien l’aurait perdue tandis que sous ses pieds et à portée de mains, le présent de la vie. Il saute au-dessus d’un torrent, glisse en traversant un pierrier, se retient aux branches quand le sentier devient trop pentu mais s’agrippe à d’autres branches pour se hisser et franchir les ressauts de plus en plus fréquents à mesure que l’altitude augmente. Rester vigilant, ne pas glisser, s’écarter du vide ou se pencher au-dessus pour mesurer ce que serait sa propre chute.

Et toujours devant soi le souvenir du petit enfant qui jouait avec un chat. « Petit Cousin », c’était le nom du chat. La cruauté du même enfant qui capture un loir et le tue. Sa peur quand il s’est trouvé agressé par deux mouettes alors qu’il nageait. Le hurlement du sanglier heurté la nuit avec la 2CV. « Haddock » notre griffon bleu au regard si doux qui fuyait devant le gibier.

Voilà pour le registre animalier mais il faudrait écrire le livre de toutes ces images, celles des hommes et des femmes disparus, des enfants qui n’ont pas grandi et de ces territoires traversés, des bateaux à quai, des bateaux en pleine mer et les ombres humaines qui errent solitaires, croisés à la cognée de la nuit, dans les rues sombres d’Istanbul ou en rase campagne comme des chevaux nus à la recherche d’un abri.

Si le temps passe, notre corps ne ressemble à rien de définitif. Contrairement aux statues, il évolue pour ne plus ressembler à l’origine. Il devient une écorce avec ses tâches et ses griffes. Le bruit du temps, « ça fait un d’ces boucans » chantait Léo tant il est vrai que « Les moments que l’esprit parait avoir derrière soi, il les possède encore dans sa profondeur présente. ».

1 réponse
  1. JF Barluet dit :

    J’aime bien ce texte. Temps qui passe. J’y suis malheureusement trop sensible depuis….
    Ah je me souviens de la célèbre affaire du combat entre la 2 cv et du sanglier !

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