17 juin, Saint-Nom la Bretèche.

Un jour ce sera vide, de Hugo Lindenberg – Christian Bourgois éditeur – Prix du livre Inter.

Parmi mes défauts nombreux, est celui de ne pas me sentir concerné par un prix littéraire. Une goutte de snobisme, une pointe d’envie, une impression d’inutilité devant les commentaires élogieux qui se répètent, la crainte de me faire emporter par la machine à fric, bref tous ces éléments placés bout à bout font que je lis rarement un ouvrage couronné ou alors des années plus tard quand le soufflé est retombé et de me sentir alors emporté ou pas, enfin à peu près libre de mon appréciation. J’ajoute que tous les prix littéraires ne sont pas de mauvais livres, je ne l’ai jamais pensé, il y en a d’excellents donc je pèse le risque de rater une belle rencontre au moment où tout le monde en parle.

Coincé entre un Kafka (L’Amérique) et un Georges Perec (Un homme qui dort), impressionnant ce livre d’ailleurs il en est ainsi de toute l’œuvre de Georges Perec, j’ouvre le petit livre qui vient d’être couronné par le prix des lecteurs Livre Inter. Livre que R avait eu la bonne idée d’acheter dès sa parution, il y a quelques mois, en me disant : « Tu devrais le lire, ça devrait te plaire. ».

Egoïstement, confronté à un programme de livres à lire, la pile seule monterait jusqu’au plafond, je suis donc peu ouvert aux livres des autres. Encore un défaut.

172 pages, un premier roman, poussé par la curiosité et sensible au fait qu’il ait été choisi par les lecteurs à l’issue d’un seul tour de scrutin, je décidai de ne pas attendre.

Et pour un premier roman, c’est une vraie réussite tant au niveau du style, de la sensibilité toujours présente dans cette histoire en apparence simple qui n’est pas que le récit d’une amitié mais de tellement d’autres choses que nous avons tous ressenti dans nos vies.

A propos de la grand-mère du narrateur :

« Je ne connais pas de spectacle plus mélancolique que celui de ses mains. Profitant de sa sieste, je glisse mes doigts le long du paysage escarpé des veines qui irriguent le champ de taches brunes de sa peau fanée…….Il y a le corps solide de ma grand-mère, ses postures d’écorce et puis il y a ses mains, feuilles tremblantes et vérolées par lesquelles la mort exprime tout son génie.».

A propos d’un objet, et pas n’importe lequel :

« Son odeur à elle, au début je ne voulais surtout pas la sentir. Eviter les foulards. Eviter de retourner mettre son nez dans les foulards.  Ça m’emmène trop loin, trop profond dans l’absence. Vertige sans fin que je renifle des jours entiers. Des nuits entières. Qui ne sont plus des nuits d’enfant. Aujourd’hui j’ai oublié l’odeur. Comme le ruisseau des rires, les foulards ont tourné dans la poussière. Le bruit du manque a recouvert tous les autres bruits. ».

« Enfin il y avait quelque chose de solennel ce jour-là entre nous. Justement à cause des branches qui faisaient couvercle sur le monde. Les habits aussi.

Puis page 132, l’aveu : « Le silence, c’est ça mon héritage. ».

Je ne sais pourquoi mais il serait trop long de l’expliquer, il m’a semblé retrouver des univers de Marcel Proust, d’Alain Fournier, de Radiguet, peut-être André Dhotel. Ces univers de l’éloignement et de la proximité, le regard étonné d’un enfant qui se situe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la vie, qui ne cesse de tendre des fils pour relier ces deux masses qui restent et resteront anonymes. Comme le narrateur, sans paternité. Je ne raconte jamais l’histoire d’un roman, je préfère retenir quelques citations, tenter de rendre mes impressions pour donner l’envie de lire.

Un livre à emporter avec soi, une fois lu le conserver, peu importe où car sans aucun doute quand vous le retrouverez des années plus tard, en ouvrant la page de couverture sur laquelle s’agitent quatre méduses, vous entendrez la mer et vous serez à nouveau envahi par ces milliers d’odeurs et de parfums qui sont les pavés de l’enfance, les chemins d’autrefois.

18 juin.

Il est de bon ton depuis une année ou deux, d’affirmer qu’un film qui occupe les écrans de nos cinémas, a été réalisé d’après une histoire vraie. Clairement indiqué sur l’affiche, « D’après une histoire vraie. » alors qu’elle représente une scène terriblement violente, viol, génocide, guerre ou fin du monde.

Je me demande ce que l’accroche, « D’après une histoire vraie », comporte d’insuffisance et peut-être de sénilité. C’est la différence entre une biographie autorisée et une biographie romancée, l’histoire vraie relevant davantage du Commentaire que de la fiction. Il est vrai que la réalité dépasse quelque fois la fiction mais cela n’empêche qu’une fiction qui « fictionne », désolé pour ce néologisme, n’a guère besoin de coller à la réalité.

Où est le mal, me direz-vous. Il n’y en a pas. Si ce n’est que je souhaiterais que de temps à autre la vie soit une fiction, quand celle-ci est joyeuse bien entendu. Par exemple filmer un univers où le nombre des oiseaux augmenterait de trente pourcent, au lieu de diminuer d’autant dans la réalité, permettrait d’écrire sur l’affiche, « D’après une fiction véritable».

Enfin si je ne suis pas content, je n’ai qu’à ne pas aller au cinéma et visualiser en boucle à la maison, les films de Walt Disney et les documentaires du Commandant Cousteau.

Je vais y réfléchir.

20 juin.

Quand l’heure était annoncée pour se coucher, il montait au premier étage où se trouvait sa chambre. La journée avait été chaude sous le soleil de l’été, la fenêtre était encore ouverte alors que la nuit occupait déjà les chaises du jardin, la cabane aux outils et glissait sur l’eau du ruisseau en poussant des petits cris. Il s’en fallait de peu qu’elle ne pénètre dans la chambre et prenne sa place à l’intérieur du lit. Il se précipitait pour la chasser. Une fois l’ouverture close, le silence revenait enfin mais pas totalement, les clameurs nocturnes, tissage acoustique des grillons, martèlements de la chouette, manifestation brouillonne des grenouilles, bruissement lointain d’un orage qui enfle, chacun dans l’exécution de sa partition avait trouvé moyen d’occuper le silence comme une armée un pays.

L’enfant cherchait le sommeil mais dans sa tête il y avait tout ce bruit. « Mais non ce n’est pas du bruit, c’est la Symphonie Estivale de la Nuit… . » susurrait une souris.

21 juin.

La mouche passe encore mais le moustique… .

Quittons ces histoires d’insectes volants, par exemple hier soir en marchant sur la pelouse juste avant que l’orage n’éclate, j’ai vu un ver luisant. Cela faisait si longtemps que je n’en avais pas croisé que je m’étais demandé s’ils n’avaient pas disparu. En fait le ver luisant est en voie de disparition, pollution et occupation massive des sols par toutes sortes de constructions, ont contribué à le rendre de plus en plus rare.

Enfant je sortais dans l’épaisseur nocturne du jardin, entouré des stridulations des grillons, une chouette se déplaçait dans l’épaisseur des arbres, des chauve-souris comme des ballerines sautillaient dans l’air en cassant les courbes, une moissonneuse vrombissait au loin alors que le ver luisant, incroyablement lent, poussait sa torche sans mettre le feu malgré la sècheresse estivale. Je le suivais un moment mais assez vite son éclat quasiment immobile m’ennuyait. D’autres aventures m’attendaient, le bal des fantômes, la végétation des étoiles.

24 juin.

En écoutant, « Vallée d’Obermann » de Liszt, interprétation Bertrand Chamayou.

Ce n’est pas qu’une vallée, c’est aussi l’espace érotique du corps. Les notes se glissent dans les plis hercyniens du désir, aussi nombreux que nos mains, tout est multiplié jusqu’à l’achèvement plus proche de la naissance que de l’épuisement, elles caracolent de rondeurs en bosses, de cavités en entailles, dégringolent sous la fausse protection des draps tendus d’une rive à l’autre de notre rendez-vous. Se transforment en gouttes d’eau pour mieux nous désaltérer, rendent molles les mousses, jusqu’au bout des doigts sont des transparences amoureuses que rien ne peut altérer, ni le contact des peaux qui glissent l’une sur l’autre emportées dans une caresse sans fin interrompue de temps à autre par un genou, une cuisse tendue, la nécessité de retrouver l’équilibre. Les corps s’arc-boutent dans une vallée profonde où se côtoient les ombres et les éclats de la chair poussée à un haut degré de fusion.

La vallée se perd dans l’infinie illusion romantique, portée par l’unique veine qui la creuse pour atteindre dans ce qui semble lointain pourtant ne l’est pas, l’étrange décharnement du désir assouvi.

26 juin.

Mon immobilisation me permet de voir plus de films qu’habituellement, spectateur occasionnel d’émissions télévisées, je préfère les DVD et suis friand des anciens films remasterisés, plus particulièrement les productions en noir et blanc des années 50.

Je découvre « La Condition de l’Homme » de Masaki Kobayashi, trois DVD dans un joli coffret édité par Carlotta. Durée totale, un peu plus de neuf heures, très bien venu dans ma condition actuelle.

Comme de certaines lectures quand les phrases éclatent de transparence et retiennent l’attention, les images du film qui se découpe en trois parties, sont d’une beauté et d’une force remarquables. L’intensité des couleurs dans la gamme monochrome, répercute fidèlement les situations dramatiques, la violence des caractères, la beauté désertique des paysages. C’est une ode contre la violence, un appel à l’amour entre les hommes, Kaji (Tatsuya Nakadai, acteur fétiche de Kobayashi) porte un regard sur les évènements qu’il traverse à la fois étonné, volontaire mais rarement abattu malgré les sévices que lui font subir les vétérans de l’armée.

La violence rend le film parfois étouffant, mais c’est une violence portée par les combats, les coups entre militaires de la même armée, sans artifice. Les effets spéciaux n’avaient pas atteint la complexité d’aujourd’hui et n’auraient rien apporté au message délivré par le réalisateur, la couleur non plus.

L’armée japonaise, en guerre contre la Chine est montrée dans toute sa férocité. Progressivement nous assistons à sa défaite, l’honneur du guerrier et ses règles rigides sombrent sous le regard de Kaji. Quand intervient l’armée russe de Staline après la défaite de l’Allemagne, Kaji espère enfin trouver la liberté dans le communisme mais il sera vite désenchanté.

Immense spectacle que nous offre Kobayashi, œuvre rare qui s’ajoute aux œuvres universelles qui s’invitent dans le panthéon personnel de ce que je considère comme incontournables, uniques, marqués par la réflexion sur la situation de l’homme isolé et dans son rapport avec la société. Sur un fond historique, « La Condition de l’Homme » délivre des messages intemporels sur la violence, la guerre, l’amour et la protection de son prochain. Il y a comme cela des œuvres qui, au-delà de l’anecdote, de leur histoire propre délivre autre chose que ce qui est écrit, peint, composé ou filmé.

« Guerre et Paix » de Tolstoï, « Madame Bovary » de Flaubert, « La Divine Comédie » de Dante, « Le Procès » de Kafka, La Bible, le théâtre de Racine, la peinture du Greco et l’œuvre musicale de Jean-Sébastien Bach pour n’en citer que quelques-uns tant il est vrai que mon enthousiasme naturel participe à retenir de nombreux artistes et que les dimensions de mon panthéon sembleraient démesurées.

Masaki Kobayashi sans nul doute rejoint la liste limitée de ces œuvres qui nous font ressentir qu’il n’est pas vain d’exister.

27 juin.

Les pièces sont jetées sur la terre battue, les pièces non pas d’un puzzle mais d’un jeu d’échec. Elles n’ont pas encore d’identités, il faut donner au temps le pouvoir de les façonner pour qu’elles deviennent reconnaissables. C’est ainsi que d’anonymes morceaux de bois deviendront un roi, une dame, deux fous, deux cavaliers, deux tours et huit pions.

La terre battue n’est plus nourricière, elle est simplement piétinée de façon qu’aucune herbe ne pousse. Les animaux ne la traversent plus ni ne la creusent pour s’y dissimuler. De cet endroit déserté par la vie, les pièces simultanément vont se lever puis s’étirer en baillant avant de monter sur l’échiquier.

Un étrange ballet de mains danse au-dessus de leurs crânes lisses et chauves avant de les saisir l’une après l’autre et de les déposer avec plus ou moins de douceur sur les carrés de l’échiquier. Les pièces ont cru un moment accéder à la vie mais il n’en est rien. Non seulement heureuses de batifoler sur la terre battue transformée en terrain de jeu, elles ont aussi ressenti la peur une fois dominée par ces grands oiseaux blancs et noirs que sont les mains d’inconnus. N’avaient-elles pas décidé de se figer pour ne pas être remarquées mais en vain. Des doigts semblables aux serres d’un rapace, les ont saisi et déposé sur l’échiquier comme cela a déjà été dit. L’immobilité soudaine, conséquence de la peur, ne les a plus jamais quitté. Les pièces sont devenues de petites choses entre les mains de monstres non identifiés.

Elles avaient rêvé de devenir Roi, Dame, Cavaliers, Tours ou plus modestement Pions sans trop savoir si tout le monde trouverait sa juste place. Mais il est clair que les pièces du jeu d’Echec n’avaient en rien la possibilité de choisir leurs destinées.

28 juin.

A nouveau à propos de « La Condition de l’homme » de Kobayashi, je me dis que les premiers mots qui pourraient être utilisés par le spectateur actuel seraient « grandiloquence » ou « emphase », ce qui a priori n’est pas un compliment. En cette période où le public est davantage habitué au zapping, le traitement d’idées fortes telles qu’elles sont exposée dans  La Condition de l’homme ne peut se faire sans un minimum de gravité. Déshabitués par des considérations qui prennent le temps, environ dix heures de cinéma, sans jamais être didactiques, le spectateur éprouverait des difficultés à porter un regard autrement que sautillant donc impatient sur une fresque aussi longue. Pourtant devant la popularité des séries télévisées qui n’en finissent pas au risque de se répéter, incontestablement ce n’est pas la durée de la réalisation cinématographique qui serait un obstacle. Pour reprendre le terme utilisé plus haut, en effet, nous allons de sautillements en sautillements, exercice qui épouse parfaitement le zapping mais dans un univers clos.

« La Condition de l’homme » pourrait faire l’objet d’une série mais le propos, moins. Notre comportement, sous prétexte d’atteindre toujours plus de confort et de cultiver le plaisir, ne nous éloignerait-il pas de la capacité à réfléchir avec gravité sans que cela devienne ennuyeux. La gravité n’est pas le contraire de la joie, elle peut en être la pierre angulaire : le rire n’est-il pas la pointe aiguisée d’une situation considérée dans sa complexité.

« Il n’y a pas de mal à se faire plaisir » mais « il n’y a pas de mal non plus à aborder les fondements de notre existence sans en perdre pour autant la joie de vivre. ». Les impacts multiples de l’image modèlent sans la construire notre façon de vivre. De cette traversée sans aboutissement, il ne nous est guère possible de retenir grand-chose, sinon des éblouissements qui nous amusent, nous surprennent mais apportent rarement le début d’une tentative d’explication. Nous sommes toujours dans la caverne de Platon, spectateurs le plus souvent ignares quand nous ne sommes pas indifférents devant le spectacle du monde qui se déroule sous nos yeux.

Si cette réflexion peut parait un brin élitiste, je m’en excuse. Néanmoins je n’imagine pas une évolution positive au destin de l’humanité, si elle ne s’attache pas à construire des fondations qui nécessitent une réflexion approfondie sur notre manière actuelle et future de vivre ensemble. C’est un des messages que délivre « La Condition de l’homme ».

29 juin.

Ne faudrait-il pas cesser de lire quand on écrit. De lire les grands auteurs, ceux qui vous laissent admiratifs, pantois et désincarnés. Pourtant il n’est guère possible d’écrire si on ne lit pas mais lire ne pousse pas nécessairement à écrire. J’en étais là de mes réflexions en pensant à mon admiration pour Flaubert, Chateaubriand, Faulkner, Char et beaucoup d’autres. Je me disais alors que la distance à parcourir entre ma production d’écrivaillon et la leur donne à ce point le vertige qu’il serait raisonnable d’occuper autrement ces heures assis à un bureau, solitaire. Que je perdrai moins de temps à lire ou aller à la pêche, que je suis comme le peintre du dimanche qui stationne des heures au musée devant un Rembrandt ou un Morandi pour sonder la profondeur qui sépare le génie de la simple pratique.

A trop vouloir éprouver un plaisir égoïste, il est à se demander si notre voix intérieure dans la joie de la création, n’est pas encombrante et ne produit que de l’ennui. Mais pour l’écrivaillon et le peintre du dimanche, faire taire cette voix, c’est mourir un peu. Alors pourquoi ne pas laisser libre cours à ces plaisirs futiles qui ne dérangent ni ne coûtent.

30 juin.

Je béquille du matin au soir, de la chambre à la cuisine, de la cuisine à la salle de bain, de la salle de bain à la chambre où je m’habille. Ensuite de la chambre au bureau, du bureau à la cuisine, de la cuisine etc…. .Enfin jusqu’au soir, je béquille. Cette nuit j’ai rêvé qu’on m’avait posé un deuxième plâtre, je ne sais pas sur quelle jambe. Une troisième, peut-être ?

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