15 juillet.

Il ne peut imaginer vivre autrement qu’agité d’une perpétuelle vibration. Qui est-il donc ? Une guimbarde, dans le bourdonnement du monde.

16 juillet.

Je m’arrête sur le constat que fait le Père Vladimir Gaudrat, père abbé de l’abbaye de Lérins. (La Croix du 16 juillet 2021).

« J’ai connu ce que j’appelle l’arbre de la vocation. »

Dans le même journal, un article qui a pour sujet l’éventuel conflit entre les générations, un échange entre François Dubet, professeur émérite à l’université de Bordeaux et Raphaël Doan, ancien élève de normale Sup et de l’ENA, ce dernier reconnait « que plus personne ne maitrise la direction où nous allons ni le chemin que nous prenons pour y parvenir. » D’ajouter « C’est un problème démocratique fondamental. Quand on ne sait plus répondre à la question : « Qui est vraiment à la barre ? », on ne va plus voter. ».

Si pour la majorité d’entre nous, il ne nous est guère possible de reconnaitre l’arbre de la vocation, ce n’est pas étonnant que ni la maitrise de la direction ni le chemin à suivre deviennent faciles à trouver. Le manque ou la déperdition rend nos pas hésitants, nous ne cessons de rêver à d’éventuelles reculades ou de vouloir sauter les barrières qui nous encerclent avec peu de préparations. Nous pourrions reconnaitre nos hésitations et nos errements devant la complexité qui semble s’intensifier à mesure que nous nous efforçons d’avancer. Disons que pour ne pas porter un point de vue négatif, confrontés à la difficulté d’apporter des réponses nous apprenons aussi à ne pas nous contenter de réfutations faibles. Si dans des périodes anciennes, l’inconnu se trouvait expliquer par les romans de la mythologie et de la spiritualité, ainsi les chemins semblaient tracés bien que souvent dissimulés, les réponses apportées provoquaient assez peu de doutes. Doute et complexité sont apparus progressivement avec la découverte du Nouveau Monde, les découvertes scientifiques et la reconnaissance du « je » comme bien individuel et quasiment inviolable.

Ce n’est qu’en apparence que « l’arbre de la complexité » effacerait « l’arbre de la vocation ». Le premier se développe sans nécessairement détruire le second mais il rend sa croissance plus difficile. Les raisons sont nombreuses de ne pas sentir la vocation : perte d’identité, discours normés, zappings incontrôlés, mise en concurrence systématique, bouleversement des habitudes de vie qui transforme le passé immédiat en passé lointain parfois si lointain qu’il s’accumule sans ordre dans les caves de l’oubli. Pourtant je n’ai aucune crainte malgré les difficultés que ce qu’il est confortable d’appeler « la jeunesse actuelle », elle ne réussisse à monter les branches de l’arbre de la complexité tout en se hissant sur celles de l’arbre de la vocation, comme un écureuil qui sautille d’arbre en arbre et de branche en branche.

« Qui est vraiment à la barre ? », tout simplement celui qui vote, qui prend une décision, qui reconnait ses erreurs et s’efforce de les rectifier, à la fois capable de douter et d’écouter l’autre, celui-là dans le respect des ordres établis mais tout en sachant les faire évoluer, sans se renier ni renier sa foi s’il en possède une, participera à rassembler vocation et complexité.

17 juillet.

Deux femmes grecques.

Souvenir d’une jeune femme grecque, de taille moyenne, une vingtaine d’années de plus que moi. Femme, maitresse, amante je ne sais de Takis, armateur grec. Il lui a dit : « Pars avec lui visiter le pays. ». Nous avons sillonné la Grèce d’hôtel en hôtel, d’île en île dans une Volkswagen bleue, la coccinelle, le toit ouvert comme une grande bouche pour avaler le bleu du ciel. Elle était professeur d’histoire. J’étais sensible à tout ce qui se dégageait d’elle, son regard, sa voix, son parfum, sa silhouette fine et ce qu’elle pensait de la vie. Elle me complimentait sur mes propos : « Tu dis des choses profondes pour ton âge. Sans les réciter, juste parce que tu les penses.».

Elle faisait ce qu’il fallait pour garder les distances nécessaires vis-à-vis de ce jeune homme ardent qui la saluait tous les soirs devant la porte de sa chambre en espérant une invitation qui n’est jamais venue.

Quelques années plus tard je me prenais de passion pour Angélique Ionatos qui vient de disparaitre. Elle partageait avec mon accompagnatrice d’alors dont j’ai oublié le nom, le visage orgueilleux mais jamais hautain, l’immensité sombre de sa coiffure, la voix méditerranéenne de ces femmes qui trouvent dans la gravité, la source profonde des oracles de la Pythie. Son expression poétique ressemblait à celle de la jeune professeur d’histoire, mais alors j’étais incapable de l’expliquer avec des mots, submergé par les sens qu’aucune expression n’était capable de rendre. J’ouvrais alors la porte de la Méditerranée.

Je ne l’ai jamais refermée.

18 juillet.

Concerto pour piano n°1 de Franz Liszt. Deuxième mouvement, « quasi adagio ». Le critique musical écrit : « Le piano arpège délicatement. ». J’imagine l’araignée occupée à tendre sa toile, ses pattes légères et fines arpègent délicatement la matière fragile de son fil.

Comme un automate remonté, n’aurais-je pas fait autrement qu’arpéger ma vie, avec peu de délicatesse il faut l’avouer, mais j’ai tendu ma toile et à l’intérieur, me suis enfermé.

Concerto pour piano n°2 de Franz Liszt. Le compositeur n’aurait-il pas trouver sa ligne mélodique. Impression d’instabilité, de recherche comme s’il avait égaré un objet précieux ou bien une passion amoureuse non identifiée. Le critique explique exactement le contraire : « C’est ici l’élément mélodique qui domine. ». Elle ne me semble pas continue mais il ajoute que « C’est une succession d’états d’âme qui prend valeur d’exemple du Romantisme musical européen. ». Ce qui m’avait paru d’abord comme un échec à tracer la ligne mélodique, m’apparait en effet comme une succession d’impressions diverses. Je trouve ce concerto d’une grande modernité, achevé en 1849, la succession des rythmes et « des climats » annonce les partitions du XXème siècle. Le critique musical évoque Bartok.

19 juillet.

J’aurais pu être un honnête écrivain local, attaché aux histoires des villages, géométrisant l’aventure quotidienne du Père Hector du clocher de l’église au jardin potager, cherchant le secret de la femme à barbe, m’encanaillant avec les braconniers tout en moralisant avec le garde-champêtre, participer aux noces, faire une première page sur l’enterrement du père Hector, encore lui, en glissant de fausses informations pour entretenir les médisances, mener une enquête sur la vie sexuelles des doryphores en soulignant nos habitudes communes, enfin la matière est riche pour un écrivain local obsédé par la culture de ses choux et la pérennité de sa feuille de choux (Oups !).

J’aurais pu écrire des Contes, à la façon d’Henri Pourrat, j’aurais alors promené ma silhouette dans les chemins creux, trainé mes bottes dans les champs délavés par les pluies, rougi de fatigue au milieu des vignes « tressautantes » comme des cabris, fait disparaitre une vache pour créer une histoire et finalement rassembler un orchestre d’appeaux pour plaire aux oiseaux qui ne me liront jamais.

Mais voilà, je suis parti. D’une mer lointaine à une autre, d’un continent à l’autre avec mon cartable, mes chaussures de qualité, ma veste, ma petite cravate et mes idées courtes.

J’ai joué au marchand, n’ai rien retenu encore moins écrit.

20 juillet.

Le lierre rit bruyamment sur le tronc d’un eunuque.

(Eunuque, variété arboricole à propos de laquelle nous savons peu de choses. Ses modes de reproduction nous sont inconnus. Son exubérance feuillue ne cesse de nous étonner et rempli de bonheur le lierre frénétique.).

21 juillet.

Nous sommes rentrés tous les deux après une journée de travail, mon fils et moi. Encore une fois j’ai réalisé que j’avais oublié dans le métro mon cartable et deux contrats d’affrètement maritime à l’intérieur. Mais ce n’était pas le plus important.

A la sortie de la station j’ai rencontré mon neveu N avec son chien, un cocker toujours un peu fou. Je dis : « Je crois que ma sœur ne va pas bien. » Je lui demande son numéro de téléphone pour l’appeler car ma sœur, je n’ose jamais la déranger. Il n’accepte pas immédiatement mais je promets que je ne donnerai jamais son numéro à quiconque.

Mon fils décide d’accélérer le pas, il s’engouffre dans les sous-sols du parking sans m’attendre. Je l’appelle mais il ne m’entend pas ou ne veut pas. Je me perds dans un souterrain encombré de gros tuyaux vides en plastique. J’appelle à nouveau plusieurs fois, finalement je hurle. Je suis perdu, irrémédiablement. J’ai peur.

C’est ainsi, mon chemin n’était plus le sien. Alors que j’atteignais le cul du fond du sac, lui continuait sa vie sans moi.

En me réveillant j’ai entendu des battements sourds dans la maison d’à côté. Cinq heure du matin, ils faisaient encore la fête. Battements sans musique comme si elle avait été détachée de son squelette pour ne plus laisser entendre que le rythme syncopé qui n’exprimait plus rien. Je me suis dit qu’on est toujours trop vieux pour quelqu’un, jamais trop jeune. Puis l’envie de courir me reprit comme autrefois.

« Mais c’est quand que je vais courir à nouveau ? » me dis-je le crâne perclus de coups en provenance de la maison d’à côté, tellement plus lourds que le rythme appliqué de ma course d’avant.

22 juillet.

Concept : l’aboutissement de l’Histoire. Hegel, le Nautilus de Pierre Teilhard de Chardin et plus récemment les théories de Fukuyama.

Je préfère à la représentation d’une fin celle de la corne d’abondance. Elle illustre notre développement. Nous nous situons à l’intérieur de la corne, guère plus avancés que les hommes dans la caverne de Platon.

Nous avons franchi une étape importante à la fin du siècle dernier avec l’accès quasiment pour tous à l’outil informatique. Outil qui nous aidera à nous projeter vers l’ouverture de la corne en nous obligeant à tenter de comprendre la complexité qui ne cessera d’augmenter. Pour quelle finalité ? Je ne sais. Peut-être que nous n’atteindrons jamais la bouche ouverte de la corne, peut-être que la nature que nous détruisons, à son tour provoquera notre extinction. Mais je préfère imaginer notre évolution vers une ouverture et qu’un jour nous atteignions le seuil de la corne d’abondance plutôt qu’entrevoir un rétrécissement progressif de notre évolution.

23 juillet.

On ne lutte pas contre la complexité, on l’épouse.

24 juillet.

Il fait d’une femme, un ensemble de solutions : épouse, maitresse, mère, fille, employée etc… mais il est incapable de comprendre ce qu’elle est. Moi non plus d’ailleurs.

25 juillet.

Je ne marche pas sans craindre de faire un faux pas, inquiet d’être surpris par une douleur soudaine qui me déstabiliserait. Je retourne progressivement au travail, m’efforce de maintenir le rythme du Journal mais rien ne « vient » vraiment. Pas même l’immobilisation devant la page blanche, c’est autre chose de plus profond : le manque de désir et cette grande fatigue vers six heure le soir. Tout ça à la suite d’une entorse, d’une certaine importance sans doute puisque le médecin a jugé nécessaire d’immobiliser le pied à l’aide d’une botte en résine.

Dans deux jours je quitterai la maison pour rejoindre Magouric après une année de Covid, de travaux et de convalescence. Je crains ce départ au point de me demander si cela est bien nécessaire. Je ressens de la crainte à l’idée de me trouver  sur l’île au milieu du monde au mois d’aout. Enfin marcher dans l’eau, retrouver cette niche où j’ai beaucoup écrit, m’aidera à retrouver le désir. Car sans désir… .

26 juillet.

Besoin de rien mais de son tout.

27 juillet, Magouric.

L’instrument n’existait pas à son époque mais je suis certain que Jean-Sébastien Bach aurait été aussi un grand compositeur pour l’accordéon. Beethoven, peut-être pas.

31 juillet.

Souvent un homme seul regarde les vagues,

Le goéland aussi, seul.

A l’heure où la fourmi se précipite vers son logis, l’homme se penche et regarde beaucoup plus petit que lui ,

Le goéland aussi, se penche au-dessus de l’homme

Et le trouve tellement petit qu’il se demande où trouve-t-il la force de faire son nid.

Les vagues psalmodient mais le sens qu’elles voudraient donner à la vie,

N’est pas compris ni par l’homme qui ne sait pas, ni par le goéland qui n’est qu’une grosse pelote bousculée par le vent,

Quant à la fourmi, elle n’a pas le temps.

Souvent l’homme avale un fruit amer, le même, toute sa vie,

Le goéland aussi mais il n’a aucune idée de ce qu’est la vie,

Quant à la fourmi, elle n’a pas le temps.

Et l’homme de se demander si la vie ne serait rien d’autre que ce fruit,

Le grand oiseau blanc et noir remonte les marches du vent dans l’espoir d’atteindre la dernière pour prendre un nouvel élan,

La fourmi trace des milliers de sillons qu’elle ne retient pas pourtant elle revient souvent à son point de départ. Pour elle le temps n’existe peut-être pas.

Il arrive assez souvent que l’homme meurt,

Ce qui n’ai pas fait pour surprendre le goéland, l’homme est si petit.

Enfin les deux pattes sur la dernière marche, le goéland rit. Ri à en perdre l’équilibre et tombe dans le néant bousculé par un grand vent.

La fourmi décide de prendre son temps, un millième de seconde, une éternité. Mais elle ne perd jamais son temps la fourmi et pendant cette durée atrophiée elle se dit :

Le temps, ne serait-ce pas autre chose que ce qui tire le passé. Fichtre quelle imbécilité, elle le roule comme un nem miniature, le porte sur son dos et file à toutes jambes vers son logis.

Il n’existe pas de morale à cette histoire mais seulement une certitude :

Souvent un homme seul regarde les vagues… .

0 réponses

Laisser un commentaire

Participez-vous à la discussion?
N'hésitez pas à contribuer!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *