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« Se souvenir, ce n’est pas comme raisonner, faire route dans l’espace mental ; c’est la croissance de l’espace lui-même. »

Ortega Y Gasset.

Arrêtons-nous dans ce territoire singulier, le souvenir. Ortega y Gasset évoque un espace. Lequel est le plus grand, le plus imposant, le plus lourd à porter : le territoire ou l’espace. Ni l’un ni l’autre, ce n’est qu’une affaire de vocabulaire. On s’y déplace de la même façon. Le premier nous retient dans un périmètre à priori clos, le second nous attire dans des dimensions autres. Je préfère me trouver à l’intérieur d’un territoire sans en connaitre les limites, m’efforcer de les atteindre et observer ce qui se passe au-delà. A dire vrai franchir la limite, c’est tout simplement cesser de vivre l’histoire présente. L’au-delà est un autre territoire ou alors plus précisément un espace vide.

Je m’en tiendrai donc au territoire des souvenirs. Dans le mot territoire, il y a terre. Aucun endroit n’est plus propice aux souvenirs que la terre. Semés ou plantés, ils se déploient avant d’être sectionnés à une heure précise, au même instant l’avenir devient un mot du passé.

Dans la vie quotidienne les souvenirs se côtoient et se bousculent. A la différence des récoltes qui ne se font qu’une fois l’an, ils reviennent à chaque saison toujours vigoureux.

Curieusement le souvenir de l’enfance pèse davantage que les autres, s’en éloigner le rend plus présent. Images et sons remontent à la surface, les parfums fragiles sont libérés de façon clairsemée et voilà que des vies anciennes s’engouffrent dans l’homme que je suis. Le temps se fissure laissant paraitre dans la pénombre le remugle de ce que j’ai aimé.

« Se souvenir, ce n’est pas comme raisonner, faire route dans l’espace mental… »

Raisonner et se rappeler, porter le regard au-delà du présent, consciencieusement écarter ce qui encombre. Depuis le jour lointain de la naissance, le corps a changé souvent. L’esprit ou la pensée, comment nommer ce qui nous anime, est un lieu traversé par la mémoire. Chaque jour nous devenons autre mais toujours tenus par une racine invisible. Nous portons notre territoire comme la tortue sa carapace et si par hasard il nous arrive de nous perdre dans le présent, le souvenir nous aide à être au monde.

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