T 23

« Je ne sais pas encore lire. Je suis au cinéma du quartier avec ma mère et une de ses amies, je prends le programme et je demande : « Si je regarde longtemps, longtemps, est-ce que je comprendrai les lettres et les mots ? »

Ionesco, Présent, Passé.

Quelle est notre compréhension du monde quand on ne sait ni lire ni écrire. Je m’efforce de me rappeler la période d’avant lecture. Combien de temps suis-je resté analphabète. Apprendre puis savoir lire, autant d’étapes qui éloignent du premier cri à la naissance pour accéder à une vision nouvelle du monde. Pour les analphabètes que nous avons tous étés, combien d’entre nous avons gardé le souvenir de ces moments d’innocence où notre unique moyen d’expression était la parole. La parole sous toutes ses formes : murmure, babillage, chants, cris et larmes. Sur les photos, dans les bras d’un adulte, assis sur l’herbe les jambes boudinées, une casquette pour me protéger du soleil j’affiche un large sourire qui découvre mes dents écartés. Regard espiègle d’un gamin qui ne sait pas lire mais se promet de partir à la découverte de toutes les bêtises possibles : j’existe « intensément ». Je n’ai gardé aucun souvenir de ce temps-là, les voix, les odeurs même la sensation de gourmandise que je devais ressentir, ont disparu. J’observe les images d’un petit être brut qui n’imaginait pas ce que la lecture devait lui apporter. Je suis certain d’avoir été rebelle aux exercices qui m’étaient imposés pour apprendre à lire. Le sens de l’effort m’était alors inconnu d’autant plus que je ne devais pas comprendre la nécessité de dessiner les lettres sur une feuille blanche, de les épeler les unes à la suite des autres jusqu’au jour où je pourrai lire « maman » « papa » « marcher ».

La magie s’est ensuite installée et ne m’a plus jamais quitté.

Je n’ai sans doute pas eu la curiosité enfantine ni la motivation suffisante que nous fait partager Eugène Ionesco dans son livre « Présent, Passé ». Paroles joyeuses de l’enfant, peut-être pas tout à fait véritables mais qu’importe. Saluons l’enthousiasme de l’enfant qui veut apprendre.

L’écriture ne serait-elle pas l’unique invention de l’homme. Invention à l’origine de la multiplication de soi. Tout ce qui vient après ne sont que des outils pour obtenir plus de confort et de résultats. L’animal, capable d’éprouver plaisir et douleur, ne lit pas. Il sent, il se protège ou prend la fuite car il n’est pas sans « intelligence ». Si les animaux avaient inventé l’écriture alors nous serions dans de beaux draps ! Il ne resterait peut-être plus rien d’eux ni de nous ou bien, rêvons un peu, dans ce monde moins abimé par une espèce dominante, nous serions dans l’obligation d’équilibrer nos forces, nous partagerions  le rôle de serviteur de l’un vis-à-vis de l’autre. En plongeant longuement mon regard dans celui d’un chien ou d’un cheval, je comprends la raison de la tristesse qui s’en dégage, celle de ne pas savoir ni lire ni écrire. C’est l’unique supériorité que le monde animal nous reconnait.

Voilà que je m’éloigne des mots de l’enfant mais peut-être pas, la science-fiction s’invite au plaisir de la lecture quel que soit notre âge.

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