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« J’ai fait pénitence, je me suis corrigé, et dès que je commence à ressemeler mon âme, il faut remettre un bout : remettez des talons et l’empeigne crève. C’est à n’en pas finir. »

Strindberg, Inferno.

La faute, on ne peut y échapper.

Ce territoire conservera toujours des frontières imprécises. A se demander s’il s’agit d’un territoire, ne serait-ce pas un continent ? Il m’a été difficile de le traverser. Bon marcheur, j’ai malgré tout fait des allers et retours et me suis égaré avant de retrouver un sentier dissimulé par des halliers impénétrables. Il faut l’avouer, j’ai failli abandonner. Je me suis dit que je planterai un grand piquet sur ce territoire avec au sommet un écriteau : « Fermé pour cause de travaux » quand j’ai compris que les travaux ne seraient jamais terminés. La faute quand elle n’est pas strictement définie et interprétée par les règles de la loi, reste diffuse, invisible comme la circulation sanguine car il s’agit d’une circulation qui traverse le cœur et l’esprit, douloureuse, prégnante pour aboutir au sentiment de honte.

Alors me voilà devant ces deux lignes à priori anodines, qui délivrent un message presque jubilatoire. Deux lignes qui sentent le cordonnier, l’artisan penché sur la découpe de pièces de cuir.

Sans trop savoir pourquoi, la faute nous met à terre. Volontairement nous avons utilisé les armes à notre disposition : le verbe, le geste, la lâcheté, la vengeance, la violence plus rarement pour se trouver ainsi à l’origine de la faute. Oui je suis à l’origine de la dispute, je n’ai pas su me taire quand il le fallait ou bien j’ai parlé sans savoir, accusé sans réfléchir. J’avais peut être mes raisons mais mon comportement n’a fait qu’aggraver la situation. Ma cible est devenue prépondérante, son existence excessive.

Il me revient en mémoire une faute d’une autre nature, celle commise par l’enfant. Erreur de jugement de sa part, impossibilité de retenir une mauvaise action, volonté de se faire comprendre, l’enfant possède le droit à l’erreur. Il suffit à nous, adultes, de le corriger sans violence.

J’avais sept ans quand sans autre possibilité de me les approprier, j’avais chapardé deux reproductions cartographiées de mes héros du moment, Anquetil et Poulidor. Elles se trouvaient sur le tourniquet du marchand de journaux à Chamalières. Le propriétaire du magasin m’ayant pris en flagrant délit, m’accompagna en me tirant l’oreille jusqu’au commissariat de l’autre côté de la place. Après un certain temps pendant lequel j’expliquais ma faute devant deux gendarmes goguenards, mon père est arrivé. Il m’asséna alors une gifle si violente que je fus projeté au sol. « Pas si fort » murmura un des deux policiers accoudé derrière le comptoir. Souvenir cuisant d’une brutalité pas nécessaire pour me faire comprendre la différence entre le bien et le mal. Le sentiment de honte, disproportionné par rapport à la faute je l’ai gardé longtemps, encore aujourd’hui en me rappelant le châtiment que j’avais encouru.

Moi qui rêvais de devenir champion de course cycliste et de gagner l’étape du Tour au sommet du Puy de Dôme, ma carrière fut brutalement interrompue avant d’avoir commencé.

Revenons à la faute et au texte annoncé. August Strindberg dans « Inferno » habillé en cordonnier, avoue faire pénitence, se corriger « …. et dès que je commence à ressemeler mon âme, il faut remettre un bout : remettez des talons et l’empeigne crève. C’est à n’en pas finir. »

Malgré « nos pénitences » la faute revient toujours, quelquefois de façon si inattendue qu’on ne peut toutes les éviter.

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