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« qui envahit tout son être ; qui contamine sa pensée ; qui se cache dans son cœur ; qui guette sur ses lèvres la lutte de son dernier souffle. La peur subsiste toujours. L’homme peut tout détruire en lui : amour, haine, croyances et même le doute ; mais aussi longtemps qu’il s’accroche à la vie, il est incapable de détruire la peur… »
Joseph Conrad, Un avant-poste du progrès.
Ai-je jamais véritablement ressenti la peur ? De cette peur dont parle Joseph Conrad dans « Un avant-poste du progrès. », celle « qui envahit tout son être ; qui contamine sa pensée ; qui se cache dans son cœur ; qui guette sur ses lèvres la lutte de son dernier souffle ».
Je me souviens des peurs postérieures à l’action, le « ce qui aurait pu se passer », le « tu te rends compte si… » mais pas vraiment de la peur ressentie sous l’effet d’une agression étrangère qu’elle soit humaine ou animale. Non plus que d’une panique incontrôlable provoquée par un incendie, un tremblement de terre, une éruption volcanique, un ouragan ou le risque de noyade.
Les premières peurs, celles de l’enfant seul dans sa chambre couché dans le noir. Est-ce de la peur ou de l’angoisse ? L’une ouvre le chemin à l’autre. Appel des parents, demande de laisser la porte entrouverte ou bien réclamer la veilleuse que l’on pose sur la table de chevet. Elle rassure sans donner trop de lumière. La nuit porteuse de fantômes, de bruits singuliers poussés par des animaux mystérieux et menaçants, assis sur son lit l’enfant ne retient pas son imagination. Il l’entretient, à la fois séduit par ses inventions et paralysé par l’angoisse qu’elles attisent ; peur nourricière de l’imagination.
Joseph Conrad nous parle d’une autre peur, celle qui ne s’invente pas et qui peut tuer. On imagine la lame de couteau dans les mains de l’assassin, les griffes ou la gueule de l’animal décidé à vous achever, le scorpion qui se glisse dans le sac de couchage enfin toutes ces péripéties qui peuvent s’avérer fatales. Cette peur là aussi m’est étrangère.
Je me hasarde rarement sur des territoires inconnus car je suis peureux avant de prendre peur. Je sors rarement du périmètre assagi de mon tempérament. Les situations décrites par Conrad sont celles d’un aventurier. Je n’ai appris à les connaitre que par la lecture en commençant par les œuvres de Jules Verne. J’ai ressenti le frisson que provoque la peur enroulé dans les draps de mon lit. Plus tard j’ai lu Joseph Conrad et c’est à peu près tout. Il y a bien eu des romans policiers mais le plus souvent je m’y suis ennuyé.
Quelques souvenirs de grande frayeur : une voiture qui montait à contresens alors que je descendais à pleine vitesse sur mon vélo, le risque de passer par-dessus le parapet du navire Eldonia Delmas alors qu’à dix-sept ans je prenais ma première cuite au pastis, le choc violent en pleine nuit de ma 2cv contre un sanglier qui traverse la route inondée, sont là des peurs qui ne concernent que moi-même.
Mais il existe une autre peur, celle que nous ressentons pour les autres, ceux que nous aimons, qui musardent dans notre cœur. Cette peur là je ne cesse de la ressentir. Quand un adolescent rentre plus tard que prévu, qu’ils partent pour un long voyage, que l’un d’entre eux s’engage dans une compétition sportive, l’inquiétude grandit pour céder la place à une forme de peur affective.
Tout simplement la peur filiale qui ne disparaitra jamais.
« La peur subsiste toujours. L’homme peut tout détruire en lui : amour, haine, croyances et même le doute ; mais aussi longtemps qu’il s’accroche à la vie, il est incapable de détruire la peur… » ajoute Joseph Conrad.
La vertu de la peur, c’est de nous accorder de la prudence. Pour ne pas la subir, il est préférable de s’exercer à la vigilance. Compagne invisible elle peut surgir à tout moment, debout au sommet d’une falaise, enthousiasmé par la beauté du paysage devant soi, la peur est une main inconnue qui nous pousse dans le dos.
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