16 juillet, 2022.

Chapelle du Hamelet, en baie de Somme.

Fondée au XIème siècle sur un ilot autrefois à proximité de la mer, bordée d’un côté par ce qui fut un cours d’eau aujourd’hui asséché, la chapelle est en partie entourée d’un petit cimetière reconnaissable à ses croix rouillées et les nombreuses toiles d’araignées déployées d’un crucifix à l’autre ; sans doute monologuent-elles avec les défunts sans craindre d’être interrompues. Derrière son apparence lourde, architecturée comme une petite forteresse élevée avec des galets et du silex, se dissimule la nef dominée par une charpente apparente en forme de coque de bateau renversé. Quatre baies romanes facilitent l’entrée de la lumière jusqu’au chœur en pierres blanches.

Je me suis introduit dans le silence borné par les lourdes pierres de l’édifice. Un cierge se consumait encore, allumé par un visiteur qui nous avait précédé. J’ai été immédiatement surpris par un bruit sonore, le martèlement musical d’un petit oiseau inquiet qui cherchait une sortie. Était-il entré par hasard ? Est-ce que sa présence dissimulait un nid ? Avait-il, comme moi, trouvé la porte de l’église ouverte ?

Mais un petit oiseau contrairement à moi sait utiliser les petites ouvertures, ne serait-ce qu’une percée dans l’angle d’un vitrail, entre la pierre et le verre.

Nous ne pouvions nous comprendre, l’oiseau et moi :

Il s’affolait, je côtoyais la prière sans la saisir.

Il se heurtait aux vitraux, je m’enlisais dans la lumière.

Posée sur la branche horizontale du crucifix, je m’efforçais de comprendre sa douleur.(Peut-être son enthousiasme.)

Il virevoltait d’un endroit à l’autre de la nef, je m’immobilisais debout en imaginant que l’espace qui se déployait devant moi, était autrement plus grand que ce que je voyais.

Alors, oui, nous ne pouvions nous comprendre mais son désir de liberté m’a ému, à ce point comparable au mien.

17 juillet, 2022.

Le présent, dans sa portion congrue, inaugure notre absence à venir. Autant ne pas le retenir, il ne nous sera rien épargné.

19 juillet, 2022.

Montfort l’Amaury, 14h00 – température 41.5°.

Kibboutz Afikim, à proximité du lac de Tibériade, 08h00 du matin – température supérieure à 40°.

Le nombre d’années qui sépare ces deux dates est important.

Afikim, j’avais dix-huit ans.

Travail dans les champs : lever 04h00 heure, prêt à sauter dans la remorque, 4h30. Nous étions une petite dizaine d’hommes et femmes et des jeunes comme moi. Le tracteur tirait la remorque pour nous amener au travail qui devait commencer à 05h00 précise.

Distribution des tâches : toi tu iras planter les bananes, toi récolter les oranges, toi couper les grappes de raisins, toi tu aideras les ouvriers à la pisciculture… .

10h00, on se retrouve dans la petite cabane pour boire un thé ou un café et partager un repas : tomates et concombres, fromage de chèvre et quelques fruits mais pas trop. Les fruits sont destinés à l’exportation, c’est une des richesses du kibboutz. Ils ne peuvent être consommés que pour notre besoin stricte, le péché de gourmandise est sévèrement réprimandé.

11h00, chacun repart de son côté avec son outil. Encore deux heures à travailler.

La température dépasse largement les 45°.

13h00, retour au kibboutz. Dans la remorque il n’est pas possible de ne pas nous dévisager. La journée est finie pour nous mais nous sommes fatigués et couverts de poussière. Les soubresauts de la remorque réveillent chez les plus âgés des douleurs qu’ils espéraient ne plus ressentir.

Encore deux journées de travail dans les champs. Ensuite ce sera un autre groupe. Nous nous retrouverons probablement à la cuisine ou désignés pour l’entretien de l’usine ou de la maison pour les enfants.

C’est ainsi, chacun à tour de rôle accomplit une tâche quelle que soit sa position hiérarchique. Je me souviens d’avoir nettoyé la vaisselle avec Shalom Cristal, le directeur de l’usine , une des personnes les plus influentes du conseil de direction du kibboutz.

Aujourd’hui quand la température dépasse 40°, je me réjouis presque car cela me rappelle le kibboutz Afikim ainsi que d’une jolie scandinave, je crois.

20 juillet, 2022.

En contrepoint de la musique, il y a le silence. Il n’existe pas de musique sans silence. Le silence est nécessaire pour écouter la musique. S’il n’est pas possible de l’obtenir, aucune partition, aucun déroulement orchestrale ne pourrait être entendu. Il faut d’abord faire silence. C’est un rendez-vous. Chacun vient à point nommé, le silence et son vide ancestral, les premières notes et leurs bagages qui accompagnent l’exil musical.

Je ne connais rien d’autre de comparable, à l’exception de la rencontre avec la prière. Cette dernière se heurte aussi au silence, le nôtre qui nous porte de générations en générations pour une raison que nous avons oubliée, mais nous oblige à échafauder les premiers mots de la prière.

Musique et prière partagent la même recherche de stabilité en s’appuyant sur le silence. Musique et prière s’efforcent de combler notre vide non dans le but de le remplir ni d’occuper matériellement un espace libre. Les notes de la partition, les mots de la prière sont assemblés de façon à donner au vide une dimension qu’il ne peut atteindre sans leur intervention. Ce n’est pourtant pas le vide qui augmente, cela serait d’aucune nécessité. Mais la rencontre des notes et des mots avec le vide crée une alchimie étrange permettant d’atteindre une autre dimension. Celle-ci peut être identifiée par de multiples mots que nous utilisons rarement dans notre vocabulaire : l’ataraxie, la dislocation de soi, l’émerveillement et bien évidemment la prière.

21 juillet, 2022.

En vrac :

La mémoire est le taximètre du temps, mais il n’est pas fiable.

Quand je réfléchis, je partage avec les imbéciles le risque d’être prétentieux.

Nous sommes comme des fromages, souvent l’amertume se dissimule dans la croûte.

24 juillet, 2022.

J’entends des auteurs dresser la liste des musiques qu’ils écoutent en écrivant. Certains mêmes, précisent que pour tel ouvrage ils ont écouté Bach, Ravel ou Kanye West. Cependant ils nient un quelconque lien entre la musique et l’écriture.

Quand j’ai commencé à écrire, avant que cela ne devienne une habitude ni bonne ni mauvaise, la musique accompagnait le plus souvent le rythme de mes propos. Pas seulement la musique, une bouteille de vin blanc s’ajoutait un peu plus tard à ce qui devenait la production écrite de mes passions diverses.

Il me fallut de nombreuses années avant de reconnaitre l’erreur dans laquelle je m’engouffrais. Entrainé par la portée musicale qui ne m’a jamais laissé indifférent, je ne retenais plus ma plume. Mes textes étaient alors écrits sous influence. Quelque chose sortait de moi, une pulsion, que je ne maitrisais pas. Inutile de dire que les cahiers que je conserve dans un ou deux cartons, que je n’ouvre jamais plus ou bien lorsque j’hésite à m’en séparer définitivement, sont véritablement illisibles au point d’en ressentir un peu de honte.

Depuis une vingtaine d’années, il m’est impossible d’écrire avec un fond sonore quel qu’il soit. Je perdrais alors immédiatement le contrôle de moi-même. J’observerais mes phrases s’envoler vers des lieux qui ne leur sont pas destinés. La musique m’entrave alors que j’ai longtemps cru qu’elle me portait.

Le travail de l’écriture comme de la peinture ou de toute autre expression artistique nécessite, il me semble, de s’écarter de la technique que l’on s’est forgé soi-même avec le temps, mais ne pas l’oublier. Elle est notre colonne vertébrale, le support de notre imagination.

Plusieurs fois dans la semaine je m’offre un programme musical à l’exclusion de toute autre activité. Plusieurs fois dans la semaine j’écris, à l’exclusion de toute autre activité.

En revanche et cela ne fonctionne que dans un sens, il m’arrive de prendre des notes en écoutant la musique. La musique joue avec mon désir d’écrire, elle le provoque. Je deviens alors sa victime consentante.

25 juillet, 2022

Cela s’achève par un chant choral : Na na na nananana, nannana, hey Jude, en appuyant sur la voyelle pour qu’elle glisse comme le liquide renversé d’un verre puis ça recommence : na na nananana, nannana, hey Jude jusqu’à se séparer en se remerciant l’un l’autre d’avoir si bien chanté.

Cela avait commencé par un chant simple, sans grandiloquence, une demande sans tristesse, avec le sourire : Hey, Jude sur le thème d’une danse, l’un en face de l’autre, les mains croisés derrière le coup de l’autre, les regards se rencontrent puis s’évitent pour venir à nouveau en appui l’un sur l’autre.

Hey, Jude don’t let me down ! Les corps se rapprochent, il glisse le haut de son visage dans son coup, ses lèvres se posent sur un angle de peau. Jamais il n’a senti un parfum aussi bon, et la douceur qui se dégage de l’effleurement, à peine une esquisse, pas encore une caresse, ouvre une porte, plutôt une fenêtre car il ne s’agit pas encore de pénétrer dans ce monde mystérieux, une fenêtre sur une mer bordée de soleils et d’oiseaux.

Il ferme les yeux, elle résiste encore un peu puis ferme à son tour les siens. Don’t make it bad.

Sa tête se retire sans s’écarter de sa joue gauche, ses lèvres restent en contact, glissent puis se posent sur l’angle des siennes qu’elle tient fermées, cachetées comme une enveloppe qui n’a pas été ouverte. Remember to let her under your skin, elle hésite sans refuser. La lettre dissimule des secrets mais pour la lire et comprendre, il faut décacheter son visage. Ce qu’il fait avec douceur, une main plongée dans sa chevelure noire ou blonde, l’autre main sur son épaule tout aussi mobile, en approche de son oreille puis du côté de son visage, celui sur lequel sa joue ne s’est pas posée. D’un côté joue contre joue, de l’autre sa main invente une caresse qu’elle épouse en le regardant avec un faux air de surprise, soudain saisie par le jeu qu’elle accepte en partage.

Sur la piste de danse, ils sont seuls dans la proximité des autres. Avec un peu de maladresse, en s’excusant presque, il ouvrira l’enveloppe. Elle fera mine d’abandonner ses lèvres sans renoncer à divulguer plus tard ses secrets, dans un autre lieu car déjà la chanson s’achève et tous de chanter en chœur, maintenant corps séparés et bras levés dans un balancement à l’unisson pour chanter ensemble :

Na na na nananana, nannana hey Jude!

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