1er mai 2021, Grosrouvre.
« Le trou d’eau ».
J’ai toujours ressenti une fascination particulière devant les trous d’eau punaisés dans le ruisseau qui borde la maison. Sans doute que le drame familial qui a perclus notre famille n’est pas étranger à cette sensation, mais il ne faudrait rien exagérer. Lequel d’entre nous n’a pas eu son regard retenu par ces surfaces sombres, situées à proximité des racines des arbres ou bien chahutées par des courants qui les contournent et les font tourner comme des toupies.
Ce qui caractérise un trou d’eau, c’est d’abord la lumière du jour, les rayons du soleil qui n’atteignent jamais le lit de la rivière provoquant le doute sur sa profondeur réelle. Ensuite le calme apparent à la surface de l’eau surprend. Il semblerait que les courants se soient rassemblés pour faire une pause, pourquoi pas réciter la prière de l’eau.
Il faudrait aussi ne pas oublier les dizaines araignées d’eau, improprement appelées « araignées » alors que ce sont des gerridés, du genre masculin appartenant à la famille des insectes. Ils glissent sur l’eau en progressant par à-coups comme des avirons manipulés par des rameurs invisibles.
C’est parce que la clarté n’atteint jamais le fond du trou d’eau que tout devient possible. L’imagination s’y plonge sans maillot, pressée de goûter la fraicheur de l’eau surtout en été.
L’imagination se désaltère.
Enfant, je restais des heures à regarder le plus loin possible, c’est-à-dire du haut vers le bas, de la berge où j’étais assis vers le fond dissimulé par la profondeur et les ombres. Encore aujourd’hui je cesse d’avancer quand sur le chemin parallèle au ruisseau, il m’est possible de deviner l’existence d’un trou d’eau. Je m’approche alors et me penche en me retenant d’une main au tronc d’un aulne et j’observe, et j’écoute.
Il n’est pas rare que le dos sombre d’une truite soudainement éblouie par mon ombre au-dessus de l’eau, détale à toute vitesse dans une direction opposée pour se réfugier dans les racines aquatiques de ces arbres qui se développent en poussant leurs racines dans l’eau, les aulnes et les saules blancs sont les plus communs. J’écris volontairement « éblouie par l’ombre » car il existe des lieux où le moindre changement de lumière est ressenti comme un éblouissement. Aussi l’homme est sujet à ces éblouissements répétés, quel que soit l’endroit où il se trouve, particulièrement lorsqu’il a peu de choses à partager, le plus petit déplacement de l’ombre suffit à lui donner un peu de lumière et l’éblouir en même temps.
Il ne suffit pas d’avoir été un enfant pour plonger son imagination dans les veines liquides, le tunnel sans fond d’un trou d’eau. Encore aujourd’hui j’éprouve le plaisir surprenant d’observer mon imagination comme détachée de moi, prendre son élan et disparaitre dans le ruisseau, le fleuve ou la mer. Ces orifices à l’intérieur de l’élément liquide qu’on dirait des petits volcans à l’envers, ont des particularités différentes selon qu’ils se trouvent dans l’eau douce ou dans l’eau salée. Je ferai l’inventaire une autre fois.
Revenons à l’imagination entièrement à l’intérieur de l’eau, en apnée, elle prend son temps avant de remonter à la surface. Car elle a beaucoup à faire. Imaginez une galerie marchande, des dizaines de boutiques ouvertes à votre curiosité et votre envie. C’est ce que l’imagination découvre à mesure qu’elle s’enfonce dans les galeries aquatiques. Elle remontera des sacs bourrés de créatures, celles qui ont peuplé l’univers depuis les origines. Ce sont des monstres et des fées, des anges et des diables, des animaux disparus et des êtres égarés. Elle dépensera sans compter pour acquérir des morceaux de nuit, des rêves inachevés, des mélancolies en forme de poires, des âmes sans collier et un grand tonneau de solitude vieillie au fil des années.
L’imagination retrouvera mon émerveillement de gosse et me donnera tout, vraiment tout, ce qu’elle a rapporté. Ma meilleure amie depuis toujours, la mélancolie aussi mais nous nous sommes rencontrés un peu plus tard.
3 mai.
Chez le commerçant, commentaires fournis à la suite de l’assassinat de la jeune gendarme dans un commissariat à Rambouillet. Colère, accablement, volonté de ne plus se laisser faire, critique acerbe à l’encontre des hommes politiques, les propos se mélangent, certains voulant avoir le dernier mot, d’autres de renchérir. Rien de très évident ne sortira de tous ces propos si ce n’est peut-être le constat de notre impuissance.
Ce qui retient davantage mon attention sont les mots prononcés par ce jeune homme, un peu plus de vingt ans, derrière le comptoir où sont exposés les fromages. « C’est un curieux monde dans lequel on vit. » dit-il avec un air fatigué. Je trouve soudainement que ses paroles ne devraient pas être tenues par sa génération, que ce sont des propos qu’il est habituel d’entendre prononcer par des femmes et des hommes d’une cinquantaine d’années et plus. Je m’étonne de ce renoncement alors que je me serais attendu à davantage d’optimisme bien que le sujet ne s’y prête pas. Il ne m’aurait pas déplu d’entendre un commentaire, pourquoi pas guerrier, mais décidé dans un sens ou dans un autre à relever le défi qui nous est imposé. L’étrange décalage entre le manque d’espérance et son âge m’a surpris.
Il ne faudrait pas que la renonciation s’installe dans toutes les couches de notre société sous le prétexte que chacun d’entre nous, ne sommes pas capables de changer la situation qui nous est imposée. Si à vingt ans qui n’est pas le plus bel âge de la vie comme chacun sait, le terreau de l’utopie n’est pas préservé, si la défaite s’installe avant même que de combattre quel que soit le temps que cela prend, c’est certain que nous construirons jamais la meilleure façon de vivre ensemble. Ne pas s’engager dans le combat de l’espérance avec conviction, revient à laisser la place libre aux grincheux, aux extrémistes de tout poil finalement aux crétins de toutes sortes. Ce risque, aucune jeunesse, ne doit accepter de le prendre.
4 mai.
La boule saute d’une branche à l’autre puis disparait dans les hauteurs de l’arbre. Le mystère n’est pas grand, il ne s’agit que d’un écureuil qui parcourt son territoire.
Quelques heures plus tard, la chienne Lulu, teckel à poils durs se précipite au pied de l’arbre et lève son museau en regardant fixement les branches supérieures. Elle se hisse sur ses deux pattes arrière comme si elle voulait grimper. En fait elle voudrait vraiment grimper mais se heurte aux difficultés que nous rencontrons tous, notre prétention à être plus grand que nous sommes. Certes Lulu n’inventera pas l’échelle alors que nous ne cessons de produire des échelles, toujours plus grandes, pour visiter le ciel.
Par-contre je nous crois guère capable de flairer le passage d’un écureuil. Au pied de l’arbre Lulu possède une faculté nettement supérieure à la nôtre, son pouvoir se concentre dans ce museau remarquable. C’est ce qui lui permet d’augmenter sa petite taille, de se projeter dans un univers aussi mystérieux que l’est pour nous les couches supérieures de l’atmosphère. Nous partageons la même gourmandise et curiosité, une identique volonté d’aller vers l’au-delà.
Quand Lulu sort à la tombée du jour, elle s’assoit au pied de l’arbre et attend. Mais l’écureuil ne sera pas au rendez-vous. Lulu attendra à nouveau le lendemain mais l’invité ne se présentera toujours pas. C’est aussi ce qui nous ressemble et nous rassemble, les rendez-vous manqués.
A chacun son écureuil !
6 mai, Saint-Nom la Bretèche.
Nous nous dissimulons trop souvent derrière l’emploi du « on » pour exprimer une pensée, un engagement, un constat. Il semblerait qu’afficher ouvertement sa propre réflexion est indécent. Effarouchée dans un monde où tout est exprimé sans frein ni contrôle, notre pensée ne peut que rejoindre une pensée commune car il est difficile de faire entendre sa voix dans le tumulte assourdissant de celles et ceux qui se sentent obliger de communiquer quelque chose. Ainsi ce que nous souhaitons dire, notre opinion sincère sans doute l’aboutissement d’une réflexion longuement mûrie, est partagée avec crainte. Crainte de se sentir emporter par une vague de propos impulsifs, de pensées immatures. Devant l’inconvénient de ne pas être entendu, certains préfèreront se taire, s’écarter du débat. Malgré tout car il n’est pas simple de garder la bouche close, les mêmes utiliseront le pronom impersonnel indéfini de la troisième personne, « on » pour exprimer ce qu’ils sont les seuls à penser. L’éloignement du « je » ou plus précisément sa mise au placard, permet de laisser penser que derrière « on » se dissimulent beaucoup d’autres.
Entre le silence des uns qui auraient tellement à dire et la pensée commune relayée par un « on » sans identité, le vide est si important qu’il ne peut être occupé par autre chose. Les conséquences sont essentielles sur la nature du débat démocratique ainsi que sur la réduction de l’espace de liberté. Toute chose commune étant partagée par le plus grand nombre, le « je » disparait inexorablement. L’effet boule de neige du « on » a aussi des conséquences économiques. Il sera toujours plus intéressant de financer « on » que « je », le retour sur investissement n’étant pas comparable.
Nous n’accédons non pas à une pensée unique car les individualités restent trop fortes mais vers des domaines de pensée qui s’ignorent ou se combattent. Le domaine doit être porté par suffisamment de « on » pour occuper le terrain mais dans tous les cas « je » se trouvera asséché, énuclée. S’il est indispensable de planter un cadre pour vivre en société, voir même un cadre avec des entrées et des sorties multiples pour tenter de respecter un minimum de liberté d’expression, il serait tout aussi important d’accorder de la valeur ajoutée au « je ». La lutte individuelle n’est pas obligatoirement séparée de la lutte commune, elles partagent des lieux de rencontre, c’est justement ce croisement qui permet une identité renforcée.
Je viens d’utiliser à plusieurs reprises « nous » qui pourrait être remplacé par « on ». Pourtant il s’agit bien de ma réflexion que je m’efforce de partager. C’est dans cette nécessité de partage que le « je » sort de ses gonds pour s’introduire dans le territoire du pluriel. Si « on » ou « nous » dissimule non pas une pluralité de pensées mais l’artifice d’une pensée commune, « je » n’existe que par rapport à ce qui s’oppose à son identité. Nous sommes donc constamment dans le déplacement du « je » vers le « on » ou le « nous ». La circulation inverse est plus rare car une fois que nous sommes embrigadés dans le « on » indéfini, il est difficile d’en sortir pour retrouver notre identité.
C’est pourquoi il est important de s’exprimer à la première personne du singulier mais il est tout aussi primordial de ne pas s’enfermer dans le « je ». « Je » est notre attribut qui doit rester ouvert sinon nous ne pourrions jamais progresser et nous développer. Si nous sommes un mât, « je » est notre voile. Elle nous aide à prendre le large et cultiver une pensée qui nous permette d’aborder les rivages du « on » ou du « nous » sans nous trahir encore moins nous renier.
C’est cette idée de liberté que je ressens ce soir.
9 mai, sur la route vers Belle-Ile en Mer.
En réfléchissant à ce que j’ai écrit hier, il m’est apparu que le « je » a une relation particulière avec le « nous », si particulière qu’elle existe autrement avec le « on ».
Comme je l’ai écrit plus haut, « je » est capable de translation, de déplacement pour aller du soi vers l’autre. Il suit une évolution personnelle qu’on trouve en soi pour aller vers l’autre. Mais il existe un cheminement singulier qui va du « je » au « nous », laissant à l’écart le « on ». Ce cheminement qui n’est sans doute pas le seul et l’unique reconnait la prière comme guide. La religion est l’univers du « nous », la spiritualité est le domaine de l’assemblée, d’une addition de « je » qui se donne des rendez-vous pour qu’ensemble, ajouté les uns aux autres, ils se retrouvent dans le « nous », unifiés dans une même prière. On se révolte mais nous prions. On s’arme de fusils et de munitions mais nous nous unissons dans les chants et nous partageons la même foi.
A l’origine du « je », à dire vrai au départ, rapidement le sentier se sépare en deux. L’un prend la direction du « on », l’autre celle du « nous ». Le « on » mènera à une révolution où la première personne du singulier disparait devant la nécessité matérielle de mener jusqu’au bout le combat. Alors que le « je » transportera sa puissance pour renforcer une prière partagée dans un univers spirituel.
L’indéfini du « on », à dire vrai son anonymat se heurte à la présence marquée, trop marquée, du « je ». Pourtant ils peuvent se rencontrer. Le « on » indéfini n’a pas le monopole de l’esprit révolutionnaire. La quête spirituelle est une lutte, son intolérance portée par des multitudes de « je » provoquent la disparitions de millions de personnes qui ne croient pas comme « nous ».
L’un et l’autre sont entrainés dans des combats meurtriers qui n’ont pas de fin. L’un et l’autre, on et nous, s’épuisent dans des luttes fratricides portées par l’excroissance du « je ».
Si le journal est l’endroit du « je », il est aussi celui des pensées rapides, des énoncés contradictoires. Il n’y aucune pensée profonde derrière tout cela encore moins philosophique ni dogmatique, bien au contraire c’est le « je » sceptique qui s’exprime en s’efforçant de rester ouvert.
10 mai , Magouric.
Belle journée. Vue plongeante sur port Goulphar. Choucas des mers et cormorans disparaissent dans l’écran noir des aiguilles de quartz et de tuf. Les mouettes perforent la mise en scène obscure de taches blanches qui se déplacent poussées par le vent. Soupirs prolongés, violentes quintes, le vent tourbillonne. Crêtes blanches des vagues. Genêts d’or en devenir. Cristallisation des ombres avant la nuit. Tout semble se figer mais des auréoles blanches encerclent les monticules schisteux isolés au large, dévoilant le dos de leurs carapaces. Des oiseaux éreintés de trop d’air, à rebours des courants aériens, s’y posent avant de repartir vers d’inconnus lointains. Le vent du large tire derrière lui les échos sonores de l’eau en bataille mais aussi ceux des continents éloignés. Je reconnais les sirènes qui sillonnent la cinquième avenue, les rondes répétées d’une grue géante dans un port de Louisiane. Puis venu d’ailleurs, du côté opposé si la terre possédait des côtés, des gémissements, des martèlements de fusils, la blessure suppurante des appels de détresse. Il est impossible de retenir tout ce que le vent emporte avec lui, impossible de s’aventurer dans la mémoire des vagues, un genou dans le sable, de s’efforcer de devenir océan et nuage, vent et crête d’une vague, cormoran ou coquillage. Je garderai toujours, mais que cet adverbe est grandiloquent pour décrire un temps qui ne finirait pas, une morsure, une empreinte sur le corps qui ne possède aucune essence commune avec la durée. La mer étendue sous le grand vide rythme notre temporalité avant de nous emporter, confettis jetés dans les courants aériens, vers une destinée sans conséquence, comme cendre.
Une mouette en passant devant la fenêtre tire le rideau de lumière, en fond de scène, sur un côté qui domine la mer, un moutonnement de genêts jaunes. En contre-bas le fjord, la cale ou le port, des appellations différentes selon les pays pour désigner la pénétration de l’eau à l’intérieur des terres, un triangle, la pointe du sommet poussée dans un couloir bordé de falaises comme un coup de griffe.
Le jour se lève, le ballet des corolles d’écume peut commencer.
12 mai, Saint-Nom la Bretèche.
Je n’ai jamais accepté la destruction du brick Forward et ne l’accepterai jamais. J’ai lu ce roman trois ou quatre fois, c’est un de mes préférés avec Le Château des Carpathes, L’île mystérieuse, Michel Strogoff, Les enfants du Capitaine Grant. Mais voilà ce roman en deux parties, Voyages et aventures du Capitaine Hatteras qui achève la première partie avec la destruction du brick m’est insupportable.
Bien sûr j’ai lu le roman jusqu’à la fin mais cette fois-ci, j’ai abandonné nos héros dans le désert de glace, titre de la seconde partie. Je n’avais pas le choix. A partir du moment où cet incroyable navire conçu pour relier le pôle Nord, après avoir prouvé sa puissance et son agilité en se laissant dériver sous la pression des banquises, une partie de l’équipage décide de le brûler pour se chauffer, il me semble que Jules Verne met un point final à son roman en rendant le Capitaine Hatteras définitivement orphelin. Après tout l’auteur est seul maitre à bord mais je me révolte. Il est interdit de traiter un si beau navire de cette façon, après des années de construction le détruire pour du bois de chauffe. Ce n’est pas bien. Vraiment non.
Monsieur Jules Verne, je suis certain que là où vous vous trouvez, il vous est possible de m’écouter. Vous êtes bien du genre à avoir prévu un endroit après la mort, un château dans les Carpathes, une dérive sans fin dans un ballon, une île mystérieuse et secrète, sous la mer ou au centre de la terre. Jamais en retard d’une invention, votre situation actuelle vous permet de les multiplier sans que nous en soyons avertis. Je vous demande de reprendre en main la destinée du Forward ainsi que celle du Capitaine Hatteras. Changez-donc la deuxième partie, cette traversée des glaces et des banquises est ennuyeuse. Reprenez l’aventure marine, elle seule compte à mes yeux. Jules reprenons la mer, ensemble sur le brick nous parcourrons les océans pour découvrir de nouveaux territoires.
Monsieur l’auteur si vous continuez à faire la sourde oreille, c’est moi qui vais l’écrire la partie 2 de votre roman. Croyez-moi avec le Forward, nous irons de l’avant et vous reviendrez bien refaire un petit tour sur terre.
13 mai.
Il se trouve derrière le regard qu’on pose sur les êtres, les paysages et les objets, l’effroi du regard qui ne se posera pas deux fois. Je veux parler de la rencontre visuelle, immédiate qui surprend et ne se répète pas. Non seulement elle surprend mais elle communique que notre façon de voir est unique, circonscrite dans l’instant et ne se reproduira pas. Si j’évoque l’effroi, c’est qu’instantanément on réalise sans le mesurer, l’abîme sous nos yeux. La soudaine prise de conscience que ce que nous voyons ne possède aucune temporalité. Nous sommes saisis une fois pour toute d’une image qui nous griffe en provoquant une douleur ou un plaisir éphémère.
Le regard d’une femme jeune ou ridée, celui d’un enfant, la contemplation d’un paysage même si dans le mot contemplation, il se trouve une idée de durée, tout ce qui nous saisit plus que ce que nous voyons, s’imprime dans notre conscience comme l’image vierge d’une dernière fois.
Se dire qu’il ne nous sera pas possible de renouveler l’expérience de ce regard-là, c’est se projeter dans l’après-soi. Rien n’empêche d’imaginer qu’après, il nous saura peut-être donné une autre façon de regarder, se dire aussi que le mort est aveugle indéfiniment et que c’est une autre façon de voir.
Je suis friand de ces accrocs visuels parce qu’ils représentent l’instantanée de la vie sur terre et qu’ils nous aident à trouver notre dimension. L’audition permet aussi ce genre de rencontres imprévisibles et l’odorat et tous nos sens. Ils impriment dans la mémoire une marque, un tatouage invisible qui font de nous une personne singulière, riche de sensations furtives qu’on ne retrouvera pas mais qui nous habitent.
A chacun le désir ou pas de s’efforcer de les réactiver, de les réinitialiser comme on dirait aujourd’hui dans le but de découvrir un peu plus de quoi nous sommes faits.
14 mai.
Notre esprit est un ciel traversé par l’envol de centaines d’oiseaux, autant de pensées fulgurantes, d’images éphémères qu’il faudrait retenir pour faire de soi un être qui s’évertue à la transcendance.
Depuis le début, notre principale activité quelquefois l’unique, est de capturer, poser des pièges. Pas seulement en actes mais aussi en pensées : penser la pensée, d’abord fugitive, la retenir et la transformer. Certes nous sommes de grands prédateurs mais nous transformons nos proies. Elles deviennent autres choses, le résultat d’un bouleversement.
Saisir, comprendre, identifier, transformer tels sont les vecteurs de notre industrie et de notre art.
En effet nous sommes parcourus de rayons. Nous ne sommes pas exactement l’image que nous donnons de nous-mêmes, le miroir ne renvoie qu’une partie de notre réalité physique. Il ne nous dit rien sur les mondes invisibles qui nous habitent. Aucun reflet ne suffira à nous identifier et c’est tant mieux. Ces mondes sont habités d’un nombre incommensurable d’incitations, d’ «incentive» qui font de nous un être différent de l’image qui nous est renvoyé par le miroir.
Là se dissimulent nos capacités à faire le bien et le mal.
15 mai.
Ne pas craindre de parler de soi, juste un peu, avec pudeur. Appliquer le même traitement aux autres qu’ils soient proches ou lointains. Rien n’est plus ennuyeux que celui qui parle sans contrôle. On a pas besoin de tout savoir, au contraire. Dans la liberté de deviner, se poser des questions sur la personne rencontrée, voir ne s’en poser aucune car il n’est pas nécessaire que toute retienne notre attention. Il existe les transparents qu’on ne voit jamais, non pas volontairement ou par excès d’orgueil mais simplement vivre ne se conjugue pas avec tous les êtres. Il faudrait imaginer une conjugaison sans l’autre, supprimer la totalité des pronoms personnels pour posséder la sienne propre. Pour quelle utilité ? Donner forme à notre solitude, pouvoir en faire le tour, l’escalader, s’en éloigner, la visiter. Puis après ? Après, pouvoir juger de la distance qui nous sépare des pronoms personnels. Se tenir en marge pour tenter d’adopter le meilleur discours possible, le plus sincère, de cette sincérité que nous doivent les autres et que nous leur devons.
Je sais, c’est un peu compliqué mais la recherche du pronom à soi, différent des pronoms personnels, n’est pas vaine si elle nous aide à trouver notre place dans ce qu’il est commun d’appeler « le vivre ensemble ».
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