Journal Février 2021

1 er février, Saint-Nom la Bretèche.

Le jour à peine dégagé de son manchon nocturne il nous faudra attendre sans faillir le retour de la nuit.

3 février.

Le connaissement de transport maritime est un document qui n’autorise aucune interprétation. Le placement de la ponctuation doit être exactement la réplique d’un crédit documentaire. La simple différence orthographique avec la lettre de crédit, quand bien même la mauvaise orthographe serait sur celle-ci, entraine un refus de paiement.
Ecrire est aussi affaire de précision mais si elle n’est pas respectée, aucune banque, aucun fournisseur ne vous fera de réclamation.

Pourquoi mettre côte à côte ces différences ? Car je réalise à quel point il m’arrive d’être imprécis, brouillon, emporté par le plaisir de l’écriture et ma volonté d’exprimer une idée, une impression. Je suis comme un peintre qui ne retient pas son pinceau. Expression qui revient souvent aujourd’hui : « le lâcher prise ».
Si le relâchement est une voix pour la création, elle oblige au respect d’un grand nombre de règles, à commencer par la syntaxe, l’orthographe et la concordance des temps. Je ne suis absolument pas passé maitre dans aucun de ces domaines, lourdement handicapé par ma vie autodidacte.
Que devrais-je faire ? Me taire, ne rien écrire et aller à la pêche. Sans doute mais on ne se nourrit pas que de poissons alors je préfère m’aventurer dans « le lâcher prise » et me corriger. Toujours corriger. J’avoue trouver du plaisir à la correction. Le premier jet vient assez naturellement et sans effort particulier alors qu’avec la correction, je retrouve le jeu de l’assemblage et tout particulièrement celui des puzzles, loisir qu’il m’a fallu abandonner faute de temps.
C’est pourquoi mon expérience professionnelle dans l’affrètement maritime à défaut de m’avoir apporté une jouissance constante, a été une expérience de la précision textuelle, aussi bien dans le regard critique porté sur les connaissements que dans la rédaction des contrats de transports (Charte Party).
J’applique cette activité sportive à tous types de textes, qu’ils soient littéraires et administratifs. On me le reproche quelques fois alors que j’enfile le désagréable costume de censeur quand il s’agit de corriger une ponctuation ou tout simplement une faute grammaticale. Dois-je m’excuser auprès de celles et ceux qui supportent plus ou moins bien mes remarques ? Je ne le crois pas. Conscient moi-même de faire de nombreuses erreurs, il me semble que nous devons rester exigeants sur la qualité d’un texte qui sera lu. C’est une question de politesse vis-à-vis de l’autre. Finalement vivre est un travail d’exigence

4 février.

Les expressions: jeunesse sacrifiée, dictature, démocratie participative, diktat du gouvernement, les valeurs de la République, masqués mais pas muselés etc… .
Combien de fois ces expressions fortes ne sont utilisées que pour maquiller le vide de la pensée. L’époque actuelle se contorsionne dans la diffusion d’un vocabulaire imprécis et exagéré. Cela devient une forme de jouissance à l’intérieur de laquelle il n’est plus possible d’écouter l’autre, tant nous sommes occupés à nous écouter nous-mêmes. La petite bulle se déplace avec plus ou moins d’arrogance dans la grosse bulle.
Nombreuses sont ces expressions qui ont une véritable signification ne serait-ce que par ce qu’elles disent, une angoisse réelle et un questionnement nécessaire. Pour autant l’urgence du combat à mener contre la pandémie ne permet pas d’utiliser toutes les voies démocratiques et participatives qui ralentiraient le processus de décision. Le commandant du navire soudainement confronté à une tempête violente se doit de prendre des décisions rapides et ne réunira pas son équipage pour se confronter à l’assentiment général. S’ajoute à la rapidité de décision, le professionnalisme et l’expérience que tout le monde n’a pas. Engoncé dans une société de bavards où la liberté de paroles trop souvent assourdit et affaiblit la prise de paroles par celles et ceux habilités à le faire au regard de leurs connaissances, il appartient aux décideurs dans le respect de la démocratie, d’utiliser les ordonnances qui s’imposent.
Le souci d’égalité souhaité par tous mais immédiatement abandonné par ceux qui prennent la parole sous prétexte que cette vertu concerne les autres, ne permet pas de protéger et de progresser dans la lutte face à un danger extrême. Il se trouvera probablement dans le monde mou qu’est le nôtre des voix pour s’opposer aux directives du même commandant quand le navire sombre dans les flots, « Les femmes et les enfants d’abord ». Vitupérant que dans un monde où les femmes sont à égalité avec les hommes, il n’y a aucune raison de les sauver en priorité.
En toute période de l’histoire la vigilance s’impose mais il y a un temps pour la guerre, un temps pour la reconstruction. Certains esprits avides de pouvoir et uniquement entrainés par leur égo, au lieu d’apaiser la cacophonie ambiante, se font un malin plaisir à l’intensifier sous le prétexte qu’on retiendra celui qui parle fort, à défaut de ne retenir un soupçon d’intelligence dans leur pensée vide.

6 février.

Dame Taupe à tâtons longe la bordure
Pour mesurer le champ
Maître Hamster ramène des sacs :
« Je vais moudre du blé » dit-il.

Dix-neuf rimes enfantines ou Rikadla en tchèque sont des petits poèmes orchestrés pour neuf choristes et neuf instruments par le compositeur Janacek. Dix-neuf courtes promenades dans le monde de l’enfance, la composition musicale date de 1927. Le talent du compositeur ne cessa de se développer avec l’âge, Janacek mourra en 1928.
Je me laisse porter par la matière instrumentale, elle m’entrouvre les territoires de l’enfance.
Les dix-neuf poèmes chantés par des voix féminines sont égrainés au rythme de la fantaisie.

Notre chien, notre chien
A perdu la queue.
Avec confiance il l’a laissée
Plantée dans la clôture

Je me souviens des Contes, Walt Disney, Winnie The Pooh, Nos vieilles chansons, ouvrage édité chez Gallimard Jeunesse avec sa belle couverture rigide, le dessin de la petite fille enguirlandée de fleurs et le rouge-gorge. Ils chantent à l’unisson. Bien sûr Pierre et le Loup, les prémisses de la violence que je retrouvais aussi dans l’histoire du Petit Chaperon rouge. Plus tard car il fallait être plus grand et savoir lire, ma préférence allait à ce beau livre de Selma Lagerlöf, Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, éditions Delagrave, illustrations de Roger Reboussin. Cadeau de Noel à l’enfant qu’était mon père en1926, il avait dix ans.

Jeannot, Jacquot, rantanplan,
Mène les chèvres par l’étang.
Les chèvres courent, les chèvres sautent.
Les voilà dans l’eau !

Engagé dans le cheminement initiatique qui devait m’ouvrir le territoire des rêves, un ouvrage particulier couronna irrémédiablement ce qui fut l’aboutissement de l’enfance. Je veux mentionner « Le pays où l’on n’arrive jamais » d’André Dhôtel. Le titre à lui seul est une invitation vers les versants énigmatiques de la rêverie. Je sais que l’ouvrage ne se trouve pas loin, sa couverture verte et l’esquisse d’une silhouette au milieu d’un paysage, sans doute dans cette région étrange qui porte le nom de grenier. Etrange car les rêves s’y trouvent rassemblés, quelquefois désincarnés, témoignages d’un passé lointain à la mesure d’un pays où l’on n’arrive jamais.

Aux noces de la betterave
Le céleri jouait du fifre
La carotte dansait
Et le radis battait,
Battait la mesure,
Laridon, laridondaine.

7 février.

Lecture de la correspondance de Flaubert dans la collection La Pléiade.
Les échanges épistolaires entre Mademoiselle Leroyer de Chantepie et Gustave Flaubert m’intriguent. Cela commence par l’expression d’une grande admiration pour l’auteur et son ouvrage, Madame Bovary. Mademoiselle de Chantepie ne tarit pas d’éloges pour le maitre tout en décrivant longuement sa vie de femme âgée, seule et quasiment sans famille. Ses courriers décrivent son ennui, ses maladies, sa solitude et ne cesse d’annoncer une fin prochaine. Ses interminables missives larmoyantes provoquent mon agacement mais à ma grande surprise Flaubert lui répond tout aussi longuement, avec patience et empathie. Jusqu’à ce que je découvre dans la lettre de son admiratrice datée du 23 octobre 1860, les propos suivants :
« Toute réalité est une déception, aussi je n’ai jamais pu vivre que d’idéalité. Encore à présent, je n’existe que dans le rêve. ».
Puis un peu plus loin :
« Je vais retrouver mes ennuis, mes tourments, la confession en perspective, des affaires d’argent à débrouiller, car j’ai tant de charges que souvent je n’ai pas 5 francs à ma disposition. »

Mon trouble vient en lisant ce courrier que Madame Bovary aurait pu écrire si elle avait survécu à ses épreuves. Etrange impression d’imaginer Flaubert engagé dans un échange épistolaire avec son héroïne et d’une certaine manière poursuit le roman achevé. Si Mademoiselle Leroyer de Chantepie n’avait pas existé, probablement que Flaubert l’aurait inventée mais elle est réelle, présente et lui « parle » comme Madame Bovary s’exprimerait après sa mort.

Les qualités supérieures de ce roman que je tiens pour un des plus importants en langue française, sont le résultat d’un travail si « Hénorme » qu’il semblerait que l’héroïne principale ne peut abandonner son auteur, l’ogre de Croisset, bien qu’il ait décidé de s’en débarrasser.
Me voilà donc un peu plus mesuré dans mon agacement en imaginant la surprise de Flaubert lorsqu’il reçut la première lettre d’une admiratrice qui n’est autre que « la Bovary ».
Sans doute serait-il plus naturel de penser que Mademoiselle Leroyer de Chantepie, passionnée ardente du roman, ne fait que répliquer en quelque sorte Madame Bovary. Si l’effet miroir joue entre la lectrice et l’héroïne, il n’est pas interdit d’imaginer un autre effet miroir entre Flaubert et Mademoiselle Leroyer de Chantepie, sosie de Madame Bovary.

7 février, Hauteluce.

Finalement nous avons réussi à pousser la porte de notre cage dorée et prendre la route. Voilà presque cinq mois que nous n’avions préparé quelques bagages, envisagé de nous retrouver ailleurs comme dans cet hôtel de Hauteluce où nous avions séjournée en hiver et en été.

Les règlements imposés par la covid 19 bousculent l’organisation de la vie dans un hôtel. Petits déjeuners et repas sont pris dans la chambre, nous croisons de rares clients qui portent le masque à l’intérieur de l’établissement. Cela est quelque peu déroutant de se retrouver dans un endroit connu, habituellement joyeux, alors que malgré la gentillesse des propriétaires et la beauté des lieux, l’impression de fêtes qui accompagne une période de loisirs, n’est pas au rendez-vous.
En observant nos hôtes nous apporter les repas-plateaux en chambre avec une bonne humeur communicative, je ne peux m’empêcher de les revoir dans la salle du restaurant, lui dans le rôle de sommelier nous raconter l’histoire et la vie d’un vin avec les dons d’un véritable conteur, elle poussant le chariot des fromages en nous dévoilant tout comme son mari, les secrets des produits d’exception.
Tout recommencera, dans la salle à manger se réuniront à nouveau les clients épuisés par une journée de randonnée ou de ski, le service nous comblera de son exécution joyeuse et chacun dans son rôle, retrouvera pleine possession de ce qui les anime après cette longue période où il faut bien l’avouer, nous nous sentons tour à tour rabaissés et punis devant notre envie de vivre.

8 février.

Je suis souvent confronté à une sensation étrange les deux premiers jours après mon arrivée en montagne. Sensation augmentée cette fois-ci par nos très rares sorties depuis septembre dernier, comme si j’avais perdu le plaisir de quitter momentanément notre maison habituelle.
J’écrivais que la Covid nous empêche, certes dans un premier temps mais ensuite nous encalmine comme un moteur qui n’aurait pas tourné depuis longtemps. Il m’est arrivé de souhaiter que vue l’augmentation actuelle de l’épidémie, le gouvernement décide un nouveau confinement sévère. Je me suis alors dit que j’allais être victime du syndrome de la cabane et que si je ne me faisais pas violence, il en serait fini pour moi de mon bel appétit de vivre.
Dont acte, nous sommes à la montagne.
Pour en revenir à cette sensation étrange qui n’a rien à voir avec la pandémie, il me faut avouer que la vue des sommets, l’anarchique distribution des cols et des vallées provoquent malgré mon enthousiasme, un sentiment d’angoisse qui il y a quelques années, s’était transformée en panique claustrophobe. Deux ou trois jours me sont nécessaires pour retrouver une quiétude naturelle. Le plaisir des randonnées, des restaurants d’altitude, des nuits dans les gites, de l’observation de la vie animale et du monde floral efface alors jusqu’à la fin de mon séjour le désagrément des premiers jours.
Impression que je ne ressens jamais au bord de la mer quand la vue ne se heurte pas à des sommets et des montagnes sombres. Le vide, les battements liquides d’un cœur invisible, la grande voltige des oiseaux de mer qui suivent au plus près les courants aériens qui les portent, la lumière qui caracole à la surface de l’eau, sans aucun doute m’apaisent et quand vient la tempête, ses hurlements et ses coups de poings, je me sens comme aux premiers jours de la vie, fragile et protégé.

9 février.

J’évoquais il y a quelques jours le beau livre des Merveilleux Voyages de Nils Hölgerson à travers la Suède. Je précisais qu’il avait été offert comme cadeau de Noël à mon père qui avait alors dix ans.
Une note manuscrite au début du livre informe que le livre appartient à : Albert, Noël 1926. Voilà une trace de peu d’importance sur laquelle il n’y aurait guère de raison de s’arrêter. Justement la légèreté de cette information est pour moi suffisante pour qu’elle m’inspire des réflexions diverses.

La première question est de se demander ce qu’un enfant de dix ans ressentait en 1926 à la lecture de ces Merveilleux Voyages. Comme il m’est impossible de répondre, la seconde question qui me vient immédiatement à l’esprit, ce n’est pas tant ce que je ressentais en lisant cet ouvrage lorsque j’avais dix ans en 1963, mais la nature de nos émotions était-elle si éloignée entre 1926 et 1963.
Aucune réponse ne peut être précise, d’autant moins que mon père était un homme silencieux sur son passé bien qu’il évoquât un peu son enfance, sa mère institutrice d’école à Aubervilliers, la guerre et cette longue période où il fut prisonnier. Il parlait rarement de son père, ingénieur chimiste qui avait je crois crée son entreprise avec un associé, aventure qui avait mal fini.
Nous pourrions prendre pour exemple une autre œuvre telle que Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry que tout le monde a gardé en mémoire. Je crois que les trente-neuf années qui séparent l’émotion d’un enfant de dix ans d’un autre au même âge entrainent peu de différence. Je crois que si les deux enfants avaient la possibilité de se rencontrer, ils trouveraient assez vite un langage commun. Que partageraient-ils ?
Tout d’abord un environnement qui ne nécessitait pas d’être protégé. Sans doute l’irrespect pointait déjà le bout de son nez mais pas à un tel degré de destruction que nous connaissons. La vie agricole se trouvait encore aux portes des villes au lieu des kilomètres d’artères commerciales qui aujourd’hui encerclent et étouffent les centres-villes. Ils possédaient la connaissance des animaux de la ferme, s’étonnaient devant la nature sauvage, imaginaient en lisant Jules Verne les mondes qui leur restaient à découvrir. L’effort pour aller chercher des réponses aux questions qu’ils se posaient n’était pas de même nature que celui effectué aujourd’hui à l’aide d’internet. Pour autant ce n’était pas mieux avant, cet « avant » nous a simplement projeté dans l’aujourd’hui.
Par-contre quelles seraient les émotions ressenties par un enfant qui aurait dix ans en 2021, s’il venait à lire Les Merveilleux Voyages ? Je n’ai pas le bonheur de côtoyer les petits enfants mais il ne m’est pas difficile considérant l’accélération de l’histoire, expression usée jusqu’à la corde, d’imaginer ne pas partager ou si peu un langage commun avec l’enfant de 1963 encore moins avec celui de 1926.
L’informatique est passée par là avec ses tombereaux de jeux, d’écrans tactiles, de voix discordantes et d’effets visuels.
De nombreuses œuvres du passé gardent leur actualité, d’autres plus nombreuses vieillissent mal ou pas. Ce n’est qu’un juste trie de tout ce qui nous encombre quitte à redonner vie, des décennies plus tard à une œuvre oubliée. Ce n’est sans doute pas demain que des œuvres considérées comme intemporelles disparaitront de nos écrans. Ce qui changera peut-être, notre façon de les percevoir. Alors en effet il me semble intéressant de se pencher sur les émotions de l’enfant lorsqu’il se trouve confronté ou entrainé dans la découverte.
Qui ne sera jamais décrire les cheminements d’un enfant de dix-ans. Aussi longtemps que la petite fille ou le petit garçon aura la liberté de courir au fond du jardin ou d’une cour d’immeuble et pousser le portillon qui ouvre sur les Merveilleux Voyages, notre aventure ne sera pas vaine.

10 février.

Se demander la place que nous occupons à l’intérieur d’une autre personne, famille ou ami, est une mauvaise question, sans importance, trop égocentrée. Pourtant la métaphore de la chaise m’amuse.
J’imagine être une chaise dans l’espace invisible de la personne qui me rencontre ou me côtoie sans pour autant me connaitre.
Elle me déplace à volonté. Une chaise c’est pratique, un jour dans un angle, l’autre jour autour d’une table ou devant un bureau. Quelques fois on se tient debout sur la chaise pour atteindre un objet haut placé ou épousseter le dos d’un meuble. On la tire pour l’offrir à une personne qu’on n’attendait pas et vient tenir conversation.
Une chaise est rarement seule mais doit être contenue dans une certaine hiérarchie. Qui n’a jamais entendu parler de la hiérarchie des chaises, aura peut-être quelques difficultés à comprendre mon propos. Par exemple il y a la chaise d’appoint, c’est un peu celle que j’évoquais en commençant. Sans aucun doute elle occupe la position inférieure. Puis il y a les quatre ou six chaises autour de la table de la salle à manger. Celles-ci sont rarement séparées, elles ont un rôle social important. La chaise devant un bureau rejoint souvent la famille des chaises avec accoudoirs. Appartenir à cette famille est une reconnaissance particulière. Elles sont rarement déplacées, ce ne sont pas des trônes et ne peuvent espérer le devenir car leur évolution, si elle était possible, sera toujours empêchée par les fauteuils.
Imaginer que vous pourriez être considérés comme un fauteuil dans l’espace intérieur de celle ou celui qui vous côtoie, c’est déjà se glisser dans l’espace amoureux. Du fauteuil au lit, il n’y a qu’un pas.
Cela ne me déplait pas d’imaginer que je suis une simple chaise d’appoint dans le cœur de l’autre. J’apprécie sa simplicité, sa faible valeur vénale et tout particulièrement sa solitude qui autorise une liberté d’observation et de pensée que ne peuvent avoir les chaises utilitaires, poussées autour d’une table comme des chiens au bout d’une chaine ou les fauteuils engoncés dans leur accoutrement bourgeois.
Une autre fois, je parlerai des lits et des lampes et pourquoi pas des tapis. Dans le cœur d’un autre, un tapis ce doit être quelque chose !

11 février.

SKATING.
Alors que je progresse sur les rails courageusement en lançant une jambe après l’autre, en poussant sur mes bâtons et qu’au départ d’une côte je me surprends à ressembler à un bousier poussant sa bouse, à la fois grotesque et comme empêtré dans trop de jambes, je suis doublé sur ma droite par celles et ceux qui pratiquent le skating. Impossible de ne pas être émerveillé par la grâce des mouvements, les hommes sveltes progressent sans donner l’impression de forcer. Ils glissent sur la neige blanche dans la conjonction de gestes soyeux. Mais que dire des jeunes femmes tout aussi sveltes, leurs longues jambes moulées dans un fuseau éclatant, les formes du haut du corps à peine dissimulé sous une veste ajustée, comment ne pas être impressionné par leur légèreté de libellules, les cheveux longs tirés en arrière, elfes multicolores qui disparaissent derrière une courbe ou dans un décor de sapins assoupis sous la neige.
Promis, si je devais vivre une seconde vie, à dire vrai je ne sais si celle-ci est la première, non sous l’apparence d’une araignée velue et disgracieuse mais plutôt ressemblant à un jeune adolescent, Apollon brun au regard de braises (cliché), je me lancerai sans tarder dans la pratique du skating à la poursuite des jeunes filles en fleurs.

12 février, Megève.

« Le rêve est dans l’assiette. ».
Sujet favori des amateurs de bonne cuisine, conversations entre professionnels de la restauration, chefs cuisiniers et jusqu’au plus bas de l’échelle, commis engagés dans les fonctions les plus diverses, ils investissent les sciences de la table. Je ne suis pas le dernier à apprécier un bon plat, déguster un joli vin quand on m’explique son histoire, profiter d’une belle table chamarrée d’or et de lumière ou simplement une petite nappe à carreaux et un petit salé aux lentilles. Mais de là à mettre un rêve dans une assiette, j’avoue ne pas me sentir concerné.
Dans la bourgeoisie actuelle il est de bon ton de posséder des références culinaires et de borner ses rêves à la surface réduite d’une assiette. Alors les propos sont échangés avec virtuosité sur le savoir-faire d’un chef, son génie et sa philosophie. Que ne dit-on pas sur sa passion « des bons produits », sa virtuosité pour assembler des légumes oubliés, les sauces surprenantes qui accompagnent une viande ou un poisson. Le Chef est un artiste, ce qu’il propose n’est rien moins qu’un Renoir, un Proust et pourquoi pas un Bachelard.
Ces gesticulations autour d’un aliment lequel après mastication et digestion achève son histoire comme vous l’imaginez, sans pour autant m’y opposer car il y a un vrai travail créatif pour un réel plaisir gustatif, me laissent un peu de côté. Une œuvre de Renoir, la lecture de la Recherche ou l’émotion toujours vive en ouvrant La Poétique de l’espace, sont des sujets à interprétations les plus diverses. Des générations à venir exploreront ces œuvres sans que jamais elles ne finissent dans la cuvette des toilettes.
Festins et orgies dionysiaques sous l’empire romain organisés par une minorité de riches bourgeois et parvenus, n’annonçaient-elles pas ce qu’il faut malheureusement qualifier de déclin.
Si le rêve est dans l’assiette, les étoiles ne se trouvent qu’au ciel et pas dans un guide.
Il n’est de rêve que dans l’inexactitude d’être soi.
Allez, vous reprendrez un petit verre!

13 février.

Dans les belles demeures se trouvaient autrefois une petite chapelle avec un hôtel, un crucifix, deux prie-Dieu et quelques chaises, des propriétaires orgueilleux auront disposé des portraits de famille en souvenir des fêtes et des enterrements. C’était un endroit où il était possible de se recueillir, loin des activités bruyantes mais à proximité des hommes. Souvent un membre de la famille appartenait au clergé et donnait une messe pour les grandes occasions. Un lieu dédié comme on dirait aujourd’hui pour accueillir la branche spirituelle de notre enracinement sur terre.
Nous sommes obligés de constater que ce monde a disparu. Même l’espace suffisant pour rassembler les objets de culte, seulement une croix posée sur un socle en bois, un prie-Dieu glissé le long du mur, un livre de messe hérité d’une arrière-grand-mère, aucun objet de la spiritualité d’autrefois ne trouve sa place dans l’habitat contemporain. Alors que dans les pays asiatiques quand bien même vous habitez un petit deux pièces dans n’importe quelle banlieue, que vous soyez riche ou pauvre, le plus souvent une place fort réduite est réservée à un Bouddha enguirlandé de fleurs en plastique, des lumières multicolores et pourquoi pas accompagné d’une petite fontaine électrique guère plus grande qu’un gobelet pour donner à entendre le murmure de l’eau.
Les propriétaires des grandes maisons bourgeoises, malgré l’espace et le nombre des pièces, n’envisagent à aucun moment de choisir un endroit où se recueillir, pouvoir se glisser dans le silence entre quatre murs avec seulement une chaise, une table et une lumière, sans obligatoirement de fenêtre encore moins les objets d’un culte, un endroit pour la solitude méditative.
On lui préfère un espace plus grand qui porte le nom de « home-cinéma » ou salle de « body building ».
Je ne fais que constater cette évolution sans la juger. Pourquoi ne pas préserver dans notre vie privée l’endroit où s’exercerait ce que j’appellerai le « soul building ». Cela ajouterait un peu de cinéma et serait l’autre versant de l’entrainement corporel.

14 février.

Texto : « Michel nous a quitté cette nuit. »

19 février, Saint-Nom la Bretèche.

Tous les matins, le bâillement sous la douche : cela commence par le jet d’eau dirigé sur les pieds pour ne pas glacer le corps ni l’ébouillanter. Puis doucement, de bas en haut, un bâillement prolongé et réconfortant sort de la bouche que vous ne pouvez maintenir fermée. Ce sont en fait les résidus du sommeil. Ce que vous n’avez pas utilisé la nuit est stocké dans le bas du corps. Le contact de l’eau avec les doigts de pied déclenche une remontée et l’échappée subite des résidus du sommeil.
Il faut se dire que nous n’avons jamais de sommeil en trop. Au moment où on se couche, le compteur est remis à zéro. Je ne sais comment se calcule la quantité de sommeil qui nous est octroyée mais je sais que si on ne prend pas de douche le matin, on risque de se trouver embarrassé dans la journée par une quantité de sommeil non utilisée.
Solution : éliminer tous les matins les résidus du sommeil, un peu comme épousseter un meuble. Enfin chacun fait comme il l’entend mais je n’ai constaté aucun bâillement incontrôlé en prenant une douche le soir.
Heureusement que le journal trouve son indiscutable utilité en ne laissant pas de côté ce genre de considération.

20 février.

Il ne me déplait pas d’utiliser des mots qualifiés de « gros ». Je les compare à ce que serait une ponctuation verbale. Commencer une phrase par « putain », achever une autre par « merde », c’est simplement utiliser une forme de ponctuation proche du point, de la virgule etc… .
Il me plait d’être vulgaire ou de laisser croire que je le suis en utilisant une langue éloignée de celle utilisée par mon entourage. Un mot « gros » peut être lâché comme un pet dans une conversation, je m’amuse de l’étonnement de mon interlocuteur (trice) et j’imagine les conclusions qu’il (elle) en tire. Ce n’est pas que je souhaite attirer les regards sur moi comme de porter un costume rose à un enterrement, je jouis davantage de ma posture en marge. C’est un privilège de se montrer tel qu’on n’est pas vraiment, ce n’est pas une tricherie mais le souci de se sentir libre. Votre entourage et la société ont facilement tendance à vous mettre dans une case et ne vous donner aucun droit d’en sortir. Alors je dis « merde » et « fais chier » et… .
Attention, la vulgarité est un art qui se doit d’être utilisé avec parcimonie.

21 février.

Je m’épouille.
Ça ne me rapporte pas grand-chose mais c’est une façon de vivre intensément avec moi-même. Puis le temps passe, quand arrive la nuit je n’aurais pas beaucoup réfléchi et c’est parfois mieux. S’épouiller et réfléchir sont des activités de nature différente, impossible de faire les deux en même temps. Je constate en observant les singes que je n’ai aucune activité de groupe, je veux dire dans mon voisinage le plus proche, je n’ai personne d’autre à épouiller que moi-même. Les singes sont à ce sujet bien supérieurs et n’ont rien à partager avec un imbécile qui s’épouille tout seul.
Demain je vais m’efforcer de réfléchir. Une journée sur deux, ce devrait être possible puis viendra bien assez vite le temps d’épouiller la mort aussi.

22 février.

Il ne suffit pas d’écrire « profondeur » ni « élévation », les mots imprimés en noir sur papier blanc ne sont qu’un regroupement de lettres pour la circonstance mais après les avoir ôté séparément, les unes après les autres que reste-t-il sur la feuille blanche, pas même une trace, encore moins un escalier qui descend ou qui monte.
Pourtant l’auteur avait pris son souffle, il s’était échauffé dans le grand stade des concepts, il savait que le sujet n’était pas facile mais cela faisait de nombreuses années qu’il s’entrainait. A chaque fois il mettait la barre un peu plus haut, il plongeait un peu plus en profondeur jusqu’à atteindre l’âge gris de celles et ceux qui ont assez expérience pour tenir des propos autorisés sur des sujets aussi difficiles que sont « la profondeur » et « l’élévation ».

Le 22 février il s’est dit qu’il ne fallait plus retarder le moment des explications, qu’il en savait assez pour décrire ce que sont « la profondeur » et « l’élévation ». Il avait suffisamment questionné son âme, franchi de multiples portes d’églises, de mosquées, de temples bouddhiques jusqu’à se courber devant le Mur des Lamentations. Sa connaissance de la foi lui paraissait à ce point suffisante qu’il allait noircir des pages sur ce qu’est le cheminement intérieur vers les profondeurs, de la même façon il serait intarissable sur ce qui de façon inattendue, vous élève au-delà du périmètre de sa propre conscience. S’il ne ressentait aucunement le besoin de briller encore moins de se présenter comme le super-héros, voir celui qui a été choisi par un dieu pour enfin pénétrer dans l’univers spirituel, il se disait qu’avec l’utilisation de mots simples, sans ostentation, il pourrait décrire et expliquer ce que ces deux termes à priori opposés ont en commun.
Mais voilà qu’après avoir retranscrit sur la feuille blanche « profondeur » et « élévation », le projet s’est arrêté. Il a regardé les deux mots de façon si intense qu’ils se sont effacés ne laissant rien derrière eux, seulement le vide blanc de la feuille blanche. Désarmé, il ne disposait d’aucun autre mot pour les remplacer. Il s’est rappelé la « technique de l’iceberg » chère à Hemingway, l’art pictural de l’espace blanc.
Après tout cela suffisait bien, il a pensé au lendemain.

23 février.

J’évoquais récemment la hiérarchie des chaises quand je me suis trouvé une nouvelle fois dans la chapelle Saint Symphorien située à droite juste avant de pénétrer dans le chœur de l’église de Saint-Germain des Prés. J’avais alors allumé une bougie, offrande on ne peut plus simple en mémoire de Michel.

Devant moi des alignements de chaises me tournaient le dos comme pour me signifier que « tout » se passait devant, à l’endroit où se dressait l’autel en pierre avec dessus un modeste crucifix en bois. Un dossier de chaise n’est pas accueillant, plusieurs dizaines en rangs serrés comme des petits soldats de bois qui se préparent au combat, encore moins. Je n’avais aucune autre possibilité que de m’asseoir et de regarder dans la direction qui m’était imposée. Chose difficile pour moi qui ne peut rester en place trop longtemps sans qu’une partie de mon corps me rappelle qu’il n’y a guère de repos possible. Alors je tourne la tête vers la gauche puis vers la droite mais il me faut aussi voir ce qu’il se passe derrière. Enfant déjà, dans l’église de Saulcet je devais subir les regards autoritaires et mécontents de mes parents qu’il m’arrivait de marteler en poussant un profond soupir d’impatience. Mes parents et les chaises partageaient probablement la même philosophie : regarder devant soi et rien que devant soi.

Imaginons que dans toutes les églises de France les chaises soient remplacées par des tabourets, à défaut de pouvoir nous adosser, l’attrait principal d’une chaise, nous pourrions nous retourner, deviser avec notre voisin de derrière et ce qui me semble plus essentiel, observer les personnes qui entrent dans l’église. Car il n’est pas assuré que Dieu se présente devant nous, il peut nous approcher par derrière, ce ne serait pas aimable de lui tourner le dos.
J’ai donc décidé de rester vigilant, on ne sait si ce grand escogriffe qui se serait sacrifié pour nous en promettant de venir nous sauver, de quel côté il fera à nouveau son apparition. Par conséquent je m’impose une recherche et une écoute spirituelles à trois-cent-soixante degrés.

24 février, Quiberon.

Devant ta porte fermée, Seigneur, je m’agenouille, soupçonneux devant ton oubli.

25 février, Magouric.

Le journal est un outil qui permet d’aborder tous les sujets sans jamais les approfondir car le temps s’écoule, il faut le suivre. Il ne s’agit pas d’une œuvre mais d’un butinage. Chacun trouvera matière à penser, certains s’agaceront de la superficialité de mes propos, d’autres s’en contenteront.
Adapter notre nature à nos imperfections, voilà sans doute la raison pour laquelle je butine, je bourdonne mais ne choisit aucune adresse précise pour m’y arrêter. Liberté d’être, sans tenailles ni filets, au hasard du parc floral, je me néantise dans la diversité du monde.
Si la direction reste à trouver, le but n’est pas à atteindre.

26 février.

Sans pour autant s’habituer à l’idée de mourir comme nous y invite Montaigne, je me félicite de n’y avoir jamais trop pensé. Comme nous tous j’ai croisé la mort dans ma vie, elle m’a été particulièrement familière lorsqu’enfant je considérais que je lui devais la raison de mon existence alors que j’avais revêtu le costume étroit « d’enfant de remplacement » après le décès accidentel de mon frère que je n’ai pas connu.
Derrière la présence physique et aimante de ma mère se dissimulait la grande faucheuse qu’il m’arrivait de questionner pour tenter de comprendre la raison de ma présence sur terre.
Mon propos n’est pas de revivre ces étranges sentiments de ma vie passée mais plutôt de réfléchir sur l’avenir matériel de notre corps, question concrète que d’aucuns rejettent immédiatement la jugeant trop sombre. Il me semble pourtant assez joyeux de se demander que faire de notre enveloppe charnelle une fois notre mort avérée. N’avons-nous pas utilisé le corps notre vie entière pour accéder au plaisir, souvent avec excès. N’est-ce pas la politesse que nous devons lui rendre après notre dernier souffle. Evidemment ces propos ne s’adressent pas aux personnes qui ont souffert d’un handicap toute leur vie. J’imagine que leur perception du corps est alors différente.

Me voilà confronté une nouvelle fois à la crémation.
La dispersion des cendres s’oppose à l’enlisement dans la glaise, la sècheresse à la boue, l’enveloppe des courants d’air à la multiplication des vers de terre. La vitesse est un élément à prendre en considération, la crémation est autrement plus rapide que d’être sous terre. Ne dit-on pas « qu’il repose en terre… », « ici repose… ». Le repos, synonyme de lenteur est de nature très différente que celle provoquée par la crémation qui incite davantage à l’accélération. Il n’est pas donné au corps le temps de pourrir, on le libère de toute forme d’enfermement. Transformer en quelques minutes la chair en cendres c’est choisir une altération rapide contraire à la décomposition.
Le sujet n’est pas macabre, il est important car tout comme un choix de vie, il illustre un choix de mort. Le sujet dépasse largement les interrogations qu’on pourrait avoir sur le souhait ou pas d’intégrer le caveau familial s’il existe. Il n’est plus simplement question de choisir son voisinage, il s’agit de tout autre chose : quel futur donner à notre enveloppe charnelle sachant que de toute façon elle n’en a pas.
Disperser les cendres dans la mer cela revient à partir sans laisser d’adresse. Au cimetière l’individu mort n’est pas un quidam d’autant moins quand il rejoint le caveau familial. Il porte un nom, sa vie se trouve encastrée entre les jours de sa naissance et de sa mort. Les points de repère à qui veut bien s’y intéresser sont facilement accessibles. Les cimetières sont remplis de tombes délaissées puis abandonnées. Le plus souvent ils se situent dans un endroit où vous n’avez pas vraiment envie de vous y trouver, même mort car après tout tant que nous sommes en vie, nous gardons le droit d’imaginer notre mort dans un lieu qui nous convient. Gardons en toute circonstance, l’art de la futilité.
A tout bien considérer je donne ma préférence à la possibilité de conserver une adresse. Qu’importe si elle est peu visitée. Ultime prétention même mort, choisir un endroit où jeter l’ancre a quelque chose de rassurant.

27 février.

J’avais quinze ans.
Le cercueil de mon grand-père fut porté de sa maison à l’église de Saulcet par six hommes. Parmi eux il y avait mon père, mon frère ainé, André, Marc peut-être Michel. Je ne me souviens plus des deux autres, sans doute deux employés des pompes funèbre.
Il avait neigé depuis plusieurs jours, ce jour-là le ciel était bleu et la lumière froide et féerique.
Porter le cercueil était une opération difficile tant le sol était gelé.
Après la cérémonie à l’église, le cercueil fut à nouveau porté par les mêmes. Les amis de la famille se faisaient alors un devoir de participer physiquement à l’enterrement de mon grand-père.
Le prêtre ouvrait la marche, il fallut monter la côte qui mène au cimetière.
Tout se passa sans incidence mais non sans une certaine solennité qui accompagne les morts.
J’étais malheureux, mon grand-père est décédé le lendemain de Noël. La veille nous avions croisé nos connaissances à propos du Romantisme Allemand. Une nouvelle fois, il m’avait ébloui par son agilité intellectuelle et ses capacités mémorielles.
Nous étions tous recueillis. Bien que nous ne partagions sans doute pas le même degré de croyance, l’accueil dans la petite église où je devais des années plus tard enterré mon père, ma mère et ma tante, nous a rassemblé faisant de cet évènement une réunion heureuse et fraternelle.

Aujourd’hui les cendres de Michel ont été dispersées dans la mer. J’ai rassemblé mes impressions dans un texte court intitulé « Une journée particulière ». Depuis je me remémore l’enterrement de mon grand-père.
La chose commune à ces deux journées, la beauté inépuisable de la lumière.

28 février.

Comptine chevaline.

En hiver,
Le cheval de Belle-Ile a du vent plein les oreilles
Le cheval de Belle-Ile a du sel plein les yeux
Le cheval de Belle-Ile s’enfonce dans la terre jusqu’aux genoux
Et vous le croyez heureux.

Au printemps,
Le cheval de Belle-Ile est caressé par une brise matinale
Le cheval de Belle-Ile écoute l’herbe pousser
Le cheval de Belle-Ile compte les mouettes se disputer son crottin
Et vous le croyez heureux.

En été,
Le cheval de Belle-Ile regrette le vent et les embruns
Le cheval de Belle-Ile cherche l’ombre
Le cheval de Belle-Ile compte le nombre des vacanciers qui s’arrêtent pour le regarder.
« Bonne année pour les commerçants », se dit-il. « Ils doivent être heureux, eux. ».

En automne,
Le cheval de Belle-Ile soigne ses coups de soleil
Le cheval de Belle-Ile dit adieu aux fougères
Le cheval de Belle-Ile est surpris par le cri insupportable des faisans
Et vous le croyez heureux.

Mais quand est-ce qu’il travaille le cheval de Belle-Ile ?
Ce gros paresseux !