T 41 (Suite de T 40)

« Le beau souligne le visible par son affleurement, comme il conduit à la limite par son outre passement.»

« Comme nous l’apprend le Beau, l’homme est l’être qui porte en lui de « l’ailleurs », il participe à la fois de l’ici et de là-bas. Par ce que le Beau lui révèle de là-bas, il ne peut se contenter de l’ici.»

François Julien, Cette étrange idée du beau.

« Perdre de la beauté, c’est aussi manquer d’être. »

Plotin, Les Enneades.

Les deux citations sont de François Jullien, extraites du livre « Cette étrange idée du beau. »

Je dois en ajouter une autre, de Plotin dans les Enneades : « Perdre de la beauté, c’est aussi manquer d’être. »

Le sujet est difficile qui consiste à comprendre le rôle et l’importance dans la vie quotidienne d’une abstraction : le beau. Une abstraction entrainant l’autre, en ce cas son contraire, il est surprenant que le Laid ne soit pas évoqué. Il aurait ici toute sa place mais le sujet est le Beau. Curieusement le Laid pourrait prendre la place du Beau dans la première citation : « Le Laid souligne le visible par son affleurement, comme il le conduit à la limite par son outre passement.». Cependant au risque d’un contresens, il n’est pas possible de remplacer le Beau par le Laid dans la deuxième citation. Car le Laid ne révélerait rien de là-bas, donc ne nous engagerait pas à ne pas nous contenter d’ici. Le beau est une abstraction qui nous oblige à dépasser nos limites. Et nous reparlons à nouveau de la limite. Elle est ce qui est souverain pour Simone Weil, elle est l’outrepassement pour François Jullien mais elle reste infranchissable, l’outrepasser ne consistant pas à la faire reculer mais à l’atteindre.

Autre démesure du Beau, il nous ouvre une porte sur l’Ailleurs. L’Ailleurs est un territoire que nous portons en chacun d’entre nous, sans doute sommes-nous les seuls vivants sur la terre à vivre avec cette étrangeté. Retenir le Beau est un acte nécessaire pour sortir de nos prisons. Le Beau est aussi l’idée que nous nous en faisons en le contemplant. L’interaction entre le Beau et nous-mêmes est dynamique. Il est de l’ordre de la conversation et de la recherche. Car s’il ne nous est pas possible de vivre sans Beauté, il n’est pas non plus envisageable de ne pas considérer l’Ailleurs. L’un pousse la porte d’entrée de l’autre quand le laid nous maintient dans la geôle et l’obscurité.

Retourner les terres lumineuses du Beau revient à atteindre nos limites en augmentant les territoires de l’Ailleurs. Il ne serait pas surprenant de découvrir que l’histoire de l’humanité trouve davantage son mouvement dans la quête du Beau que dans le temps utilisé à nous faire la guerre.

Notre unique façon d’être mais aussi de multiplier notre être en lui permettant d’augmenter son Ailleurs, c’est de ne rien perdre du Beau.

C’est, il me semble, la conclusion de Plotin.

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