T 49

« Entre la solitude de celui qui écrit et la solitude de celui qui lit, c’est beaucoup de ciment. ».

Pascal Quignard, Les Ombres.

Antoine Compagnon rapporte dans son livre, « La Seconde main », cette recommandation de Sénèque à Lucilius : « Aliquid inter te intersit et librum. » « Laisse de l’espace entre toi et le livre, c’est cet espace qui te permet de le faire tien. »

J’ajouterai que cet espace fait le lien. L’écriture est un produit brut qui ne peut être utilisé que par la personne qui lit. La lecture est un complément, un additif qui permet de créer la compréhension ou l’incompréhension du texte lu. C’est en effet le ciment à prise rapide, le lien invisible qui est de l’ordre de la reconnaissance. Lire c’est partir en reconnaissance, lampe frontale vissée sur la partie supérieure du visage, lunette de soleil ou loupe pour se protéger de l’éblouissement ou prendre le temps d’analyser mot à mot ce que pourrait signifier le texte. Lire est une intrusion espérée par l’auteur mais c’est aussi une ancre jetée par le lecteur. Le premier souhaite qu’on sonne à sa porte, le second se met entre parenthèses. Les deux ne se rencontreront jamais bien que le lecteur s’approche de la porte d’entrée de la maison habitée par l’auteur, il imagine qu’il lui suffirait d’appuyer sur la sonnette mais il ne la trouve pas. Le lien se renforce au rythme des pages du livre tournées par le lecteur, lui seul capable de nouer et dénouer, tendre ou tirer sur le cordon. S’il pense donner un rythme à sa lecture, le chef d’orchestre ce n’est pas lui. C’est l’auteur qui donne aux mots une inflexion particulière.

Le lecteur est un être enchanté, l’auteur est l’enchanteur. La magie monte en puissance en dessinant une sorte de tunnel féérique encombré d’étoiles et de gouttes d’eau luminescentes qui tombent des parois. Après avoir atteint le bout du tunnel, le lecteur fermera le livre, heureux ou agacé, s’interrogera peut-être sur l’identité de l’auteur.

Deux maçons s’affrontent sans se connaitre.

0 réponses

Laisser un commentaire

Participez-vous à la discussion?
N'hésitez pas à contribuer!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *